Les Kurdes de Syrie en quête d'autonomie dans le nord

mis à jour le Vendredi 2 août 2013 à 19h00

Reuters.fr | par Jonathon Burch

CEYLANPINAR, Turquie (Reuters) - En regardant de l'autre côté de la frontière la ville syrienne de Ras al Aïn qu'il a fuie pour rejoindre la Turquie, Adil est plutôt perplexe de voir flotter un drapeau kurde au-dessus des bâtiments en parpaings.

Depuis le début de la guerre en Syrie il y a deux ans, ce Kurde de 33 ans a vu bon nombre de "vainqueurs" aller et venir dans cette ville frontalière. Aujourd'hui, il estime qu'il est encore trop tôt pour crier victoire.

"Il y a d'abord eu Bachar al Assad, c'était le règne de l'oppression. Puis est venue l'Armée syrienne libre et les choses se sont un peu améliorées. Et maintenant, ce sont les Kurdes qui ont pris le contrôle (de la ville)", se remémore-t-il. "Quel que soit le groupe qui prenne le contrôle, ce n'est pas ça le plus important, tant que nous avons la sécurité et la justice. C'est tout ce que nous voulons", ajoute-t-il.

Les milices kurdes veulent conforter leur emprise sur le nord et le nord-est de la Syrie, qui abrite la majorité des deux millions de Kurdes du pays, après avoir mis à profit le chaos créé par la guerre civile depuis un an en s'emparant de zones de la région.

Aujourd'hui, leur autonomie naissante semble faire écho à celle de leurs voisins: les Kurdes d'Irak. Elle reflète également la lente fragmentation du pays en trois zones: une partie nord-est aux mains des milices kurdes, les régions tenues par le gouvernement autour de Damas, Homs et sur la côte méditerranéenne, ainsi qu'une bande capturée par les rebelles, qui s'étend de la ville d'Alep jusqu'à l'Irak, en passant par la vallée de l'Euphrate.

GOUVERNER LES RÉGIONS KURDES EN SYRIE

Ras al Aïn, qui jouxte la ville turque de Ceylanpinar, est au coeur des combats qui opposent depuis des mois les milices kurdes aux combattants rebelles arabes sunnites du Front al Nosra, qui a fait allégeance à Al Qaïda.

Il y a deux semaines, les combattants ralliés au Parti de l'Union démocratique (PYD), une formation kurde dont les milices contrôlent depuis un an des zones du nord de la Syrie, ont pris la ville aux mains d'Al Nosra.

Quelques jours plus tard, le chef de file du PYD, Saleh Muslim, a annoncé l'intention de sa formation et celle d'autres groupes de constituer un conseil indépendant afin de gouverner les régions kurdes de Syrie jusqu'à la fin du conflit.

Le Conseil suprême kurde, jeune regroupement de différents partis kurdes de Syrie, a hissé son drapeau au-dessus de Ras al Aïn, mais sa position est pour le moins fragile.

Les combattants du Front al Nosra se sont regroupés à Tel Halaf, à seulement quatre kilomètres plus à l'ouest, d'où ils bombardent la ville pour tenter de reprendre ce qu'ils ont perdu.

Les affrontements ont débordé côté turc en juillet et trois personnes ont été tuées, dont un adolescent de 15 ans, obligeant l'armée turque à riposter.

L'armée turque, qui riposte lorsque des balles perdues ou des obus tombent sur son territoire, a déclaré avoir ouvert le feu en direction de la Syrie jeudi soir, au niveau de Ceylanpinar, parce qu'une balle venant de Syrie avait atteint la ville.

En Syrie, les Kurdes sont victimes depuis des décennies d'une féroce répression du pouvoir. Sous le règne du président Bachar al Assad et de son père Hafez al Assad, ils avaient l'interdiction d'apprendre leur langue, étaient souvent expulsés de leur terre et se voyaient même privés de la citoyenneté syrienne à part entière.

"GRAND KURDISTAN"

Le nord du pays abrite par ailleurs une importante partie des réserves pétrolières du pays, estimées à 2,5 milliards de barils, mais les retombées économiques ne profitent guère à la population kurde.

Souvent décrits comme la plus grande communauté au monde sans Etat propre, la communauté kurde, divisée entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie, considère les frontières actuelles comme une injustice de l'histoire et aspire à l'avènement d'un "grand Kurdistan".

Ankara redoute que l'émergence d'une région kurde autonome en Syrie ne profite aux militants séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui menacent de mettre fin au processus de paix engagé avec le gouvernement turc après trente ans d'insurrection.

Mais la Turquie craint également que de larges portions du territoire syrien ne tombent aux mains du Front al Nosra.

Elle souhaite donc travailler avec le PYD et d'autres groupes kurdes à la condition que ces derniers restent opposés au régime de Bachar al Assad, qu'ils ne cherchent pas à obtenir l'autonomie par la violence ou avant que le conflit syrien ne soit résolu, et qu'ils ne constituent pas une menace pour sa sécurité.

"Nous n'avons pas de problème avec leurs aspirations", a estimé un haut responsable du gouvernement turc, sous le sceau de l'anonymat. "Ce que nous ne voulons pas, quel que soit le groupe (kurde), c'est qu'il se serve de la situation pour imposer sa volonté par la force."

Hélène Duvigneau et Eric Faye pour le service français