Les crimes Saddam

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Edito du Monde [5 avril 2006]

Le chef des juges d'instruction du Haut Tribunal irakien, Raed Al-Jouhi, a annoncé, mardi 4 avril, que Saddam Hussein sera jugé pour génocide et crimes contre l'humanité pour l'opération "Anfal", la campagne menée contre les Kurdes. Il devrait comparaître avec six coaccusés, dont son cousin Ali Hassan Al-Majid, dit "Ali le Chimique", alors responsable des opérations militaires dans le nord de l'Irak et notamment de l'utilisation de gaz chimiques contre la population kurde.

Génocide en Irak - Anfal    -   Genocide in Iraq - Anfal

"Anfal" fut l'un des pires crimes de l'ère Saddam. Du nom d'une sourate du Coran signifiant "butin", la campagne a consisté, en 1987-1988, à la fin de la guerre entre l'Irak et l'Iran, en une série de huit opérations militaires lancées contre les Kurdes du nord du pays, accusés par Bagdad à la fois de liens avec l'Iran et de volonté séparatiste. L'armée irakienne a tué plus de 100 000 personnes et détruit plus de 3 000 villages. Le cas de gazage le plus célèbre, celui du village d'Halabja, en 1988, qui a fait 5 000 morts, ne fait toutefois pas formellement partie d'"Anfal" et sera jugé séparément.

L'inculpation pour génocide constitue un tournant dans le processus judiciaire contre l'ex-dictateur irakien, même si des incertitudes demeurent sur le sort de l'accusé. Depuis l'ouverture de son premier procès, le 19 octobre 2005, Saddam Hussein n'est poursuivi "que" pour l'affaire de Doujail, un village chiite où 148 personnes ont été assassinées. Les affaires plus importantes étaient jugées politiquement sensibles parce qu'impliquant des puissances étrangères (Qui a soutenu Saddam Hussein ? Qui a livré armes et gaz ?).

Un débat divise désormais le pouvoir de Bagdad. Pour l'affaire de Doujail, Saddam Hussein est passible de la peine de mort, et le procureur général, Jaafar Moussaoui, souhaite que l'accusé, s'il est reconnu coupable, soit pendu sans attendre les autres procès. Le président de la République, Jalal Talabani, préfère pour sa part que Saddam Hussein soit jugé pour "tous ses crimes" avant exécution des jugements.

Les partisans d'une exécution rapide de Saddam Hussein songent à la situation actuelle en Irak, notamment à la lutte antiguérilla et au souhait de mettre fin au climat d'impunité pour les crimes commis dans le pays en guerre. Ils veulent tourner une page. Les autres songent d'abord à la justice : d'une part, que tous les crimes soient jugés et, d'autre part, que les droits de la défense, à commencer par celui de faire comparaître un accusé en vie, soient respectés.

Cette seconde option est préférable. Pour la justice internationale, comme l'a démontré l'arrêt brutal du procès Milosevic suite au décès de l'accusé, il ne saurait être question d'organiser, concernant des accusations aussi graves que celle de génocide, des parodies de procès à l'encontre d'un homme déjà pendu.

Article paru dans l'édition du 06.04.06