Les chrétiens trouvent refuge au Kurdistan irakien

mis à jour le Jeudi 24 février 2011 à 17h53

Selon un récent rapport de l'Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), l'exode des chrétiens d'Irak vers la région autonome du Kurdistan s'accélère en raison des menaces auxquelles ils sont confrontés dans le reste du pays. Plus d'un million avant l'invasion américaine de 2003, le nombre de chrétiens a aujourd'hui diminué de moitié. Les villes de Bagdad et de Mossoul sont particulièrement dangereuses pour cette minorité qui subit la violence quotidienne des groupes crapuleux et des extrémistes islamistes. Analyse de la situation par Joseph Alichoran, journaliste et chercheur en histoire de la chrétienté mésopotamienne, originaire de Dohok en Irak.

On peut dire qu'avant la chute du régime, il y avait une sécurité relative pour les chrétiens. Ceux-ci possédaient des droits, surtout depuis le décret de 1972 accordant les droits culturels aux minorités chrétiennes de culture araméenne ou syriaque, à condition qu'ils ne se mêlent pas d'affaires politiques. Évidemment, tous les chrétiens n'étaient pas logés à la même enseigne ; par exemple, le Mouvement Démocratique Assyrien qui avait plus de revendications politiques et réclamait des droits plus étendus vivait dans la clandestinité et subissait la répression de la part du pouvoir. En dehors de cet aspect-là, la grande majorité des chrétiens vivait plutôt bien, pour preuve la construction de nombreuses églises, notamment à Bagdad, entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1980, avec la permission voire l'aide financière du régime.

Une relative liberté religieuse donc, bien sûr limitée par les droits de la majorité musulmane ; ainsi il était impensable qu'un musulman se convertisse au christianisme. Et puis, dans les dernières années de Saddam Hussein, on a conseillé - voire imposé- aux minorités de donner à leurs enfants des prénoms arabes plutôt que chrétiens. Mais en résumé, le régime baasiste, quelque soit par ailleurs son aspect sanguinaire et brutal, a plutôt été un facteur de stabilité pour les chrétiens d'Irak.

Et comment la situation a-t-elle évolué à partir de l'invasion américaine et la chute de Saddam Hussein?

Pendant la première année qui a suivi la chute du régime, il n'y a pas eu d'hostilité visible envers les chrétiens. La première fois que l'on s'en est véritablement pris à eux c'était le 1er août 2004, soit plus d'un an après l'invasion américaine. A partir de là, les persécutions à leur encontre se sont multipliées : les enlèvements tout d'abord, qui sont surtout d'origine crapuleuse, les chrétiens étant considérés comme une minorité dont la diaspora (américaine, européenne etc.) peut payer de fortes rançons. Il s'agit de crimes le plus souvent sans connotation idéologique ou religieuse, et qui visent d'ailleurs aussi des musulmans.

Il y a ensuite des actes de fanatisme de la part d'intégristes, dont on ne sait pas très bien s'ils sont perpétrés uniquement par des Irakiens. Par exemple, lors du terrible attentat contre une cathédrale syriaque en octobre dernier, des témoignages rapportent que la plupart des insurgés n'étaient pas d'origine irakienne. En plus de ces attentats spectaculaires, il y a une persécution latente à l'encontre des chrétiens, avec des agressions dans la rue, des insultes, des attentats contre des commerces, notamment d'alcool, mais aussi des assassinats ciblés. Suite à tout cela, les églises ont été désertées, et ceux qui pratiquent encore leur foi le font avec la peur au ventre.

Pourquoi les chrétiens s'exilent-ils au Kurdistan irakien?

Le Kurdistan irakien est une région plus ou moins sécurisée par rapport au reste de l'Irak. Les chrétiens qui fuient Mossoul ou Bagdad et qui ont des attaches dans le Nord vont s'installer là-bas. Les autres quittent le pays, principalement pour la Syrie ou la Jordanie. Les autorités qui dirigent la région autonome kurde contrôlent strictement l'accès au territoire et les terroristes ne peuvent pas s'y rendre facilement. C'est pour cela que les chrétiens y sont plus en sécurité. Pour autant, la plupart d'entre eux ne se rendent au Kurdistan irakien que provisoirement, soit en attendant une amélioration de la sécurité dans le reste du pays, soit en attendant de pouvoir partir définitivement de l'Irak vers d'autres pays.

Car pour toutes ces familles chrétiennes venant de grandes villes comme Bagdad ou Mossoul, l'installation sur le territoire du Kurdistan irakien est un total dépaysement; ils ne parlent pas la langue (le kurde), ils ne connaissent pas ces villages d'où sont originaires leurs parents ou leurs grand-parents. Il est donc difficile pour eux de s'y adapter. Partir dans le Nord est plutôt un repli stratégique qu'une volonté d'installation définitive. C'est une solution provisoire en attendant que l'État irakien soit capable d'assurer leur sécurité, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui.