Les chrétiens de la région de Mossoul s’interrogent sur leur avenir.

mis à jour le Jeudi 1 decembre 2016 à 16h13

Mercredi 30 novembre 2016

THIERRY OBERLÉ | lefigaro.fr

Les chrétiens de la région de Mossoul s’interrogent sur leur avenir.
Qu’elles soient yazidies, catholiques ou chrétiennes orthodoxes, les minorités demandent une protection internationale pour leur retour dans les zones reprises à l’État islamique.

“Notre peuple n’a pas 
le courage et l’audace de
 rentrer chez lui et pense 
toujours à l’émigration.
Nous ne trouvons pas sage
 et prudent de leur 
demander de rentrer”
MONSEIGNEUR PETROS MOUSHÉ, ARCHEVÊQUE
SYRO-CATHOLIQUE DE MOSSOUL ET QARAQOSH

IRAK Tandis que le canon tonnait au loin
à Mossoul, des représentants des communautés chrétiennes, yazidies et shabakes célébraient, voici quelques jours, la
libération de Bachiqa. Il y avait parmi eux
des évêques catholiques et orthodoxes, le
Baba Cheikh, le guide spirituel des yazidis, adeptes d’une des plus vieilles religions monothéistes du monde, et des dignitaires de cultes ésotériques. Les
pechmergas, les forces kurdes, venaient
de conquérir le 7 novembre cette ville de
la plaine de la Ninive, après quarante
jours de rudes combats contre les djihadistes. La victoire marquait la fin de l’acte
I de la bataille de Mossoul. Elle a mis un
terme à plus deux ans d’occupation de la
région par les partisans de Daech.
  Réfugiés dans des camps au Kurdistan
irakien, ses habitants s’interrogent
aujourd’hui sur leur avenir. Les maisons
sont souvent détruites, les églises et les temples ravagés et de nombreuses fa-
milles yazidies sont toujours sans nouvel-
les des femmes devenues esclaves des
partisans de l’État islamique et de leurs
complices.
  Le plan de bataille mis au point à l’issue
de longues négociations entre le gouvernement du premier ministre irakien,
Haïdar al-Abadi, et le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a été
scrupuleusement respecté. L’armée irakienne et les forces kurdes se partagent le
contrôle des territoires libérés. Le drapeau irakien flotte sur des villes chrétiennes comme Qaraqosh ou Bartella. Le drapeau kurde est dressé sur les cités à
majorité yazidie. « Diviser les zones de libération entre Irakiens et Kurdes, c’est
déjà nous affaiblir. C’est une solution
contre notre existence » maugrée Mgr Yohanna Petros Mouché, archevêque syro-catholique de Mossoul et Qaraqosh.
  La reconstruction s’annonce difficile
tant sur le plan matériel que moral. La
guerre de nettoyage ethnico-religieux a fait voler en éclats la mosaïque confessionnelle de la plaine de la Ninive. Qu’ils
soient chrétiens, yazidis ou kurdes, les
autochtones affirment de plus vouloir vivre avec les Arabes. Un retour à Mossoul
où vivaient 10 000 chrétiens paraît improbable. La faillite de l’État irakien, les
disputes territoriales entre Bagdad et Erbil, la capitale de la région autonome
kurde tentée par l’indépendance et les
risques de mutation de Daech en entité
terroriste clandestine rendent l’avenir
incertain. Quel sera le statut des minorités ? Qui assurera leur sécurité ? Avec
quelles garanties ?
  Ces interrogations étaient vendredi au
cœur d’un colloque organisé au Sénat par
l’Institut kurde de Paris. De passage en
France où il a été reçu par François Hollande, ainsi que par François Fillon, Mgr Petros Mouché a réclamé une aide internationale. « Nous avons besoin d’une
protection internationale ou du moins d’un
comité international qui puisse nous assurer la possibilité de vivre en paix et en sécurité » dit le prélat. « Nous voulons une garantie des pays occidentaux pour que le
pouvoir central irakien assure nos droits et
notre défense. Vu la gravité et l’urgence de
la situation, nous vous supplions de faire tout votre possible pour trouver une solution. Nous ne pouvons pas faire confiance à
un État qui nous a trahis en ouvrant les
portes de Mossoul aux djihadistes. Il a essayé de réparer sa faute, mais Bagdad est
loin et nous avons un gouvernement faible », explique-t-il.
  De leur côté, « les Kurdes ont montré du
respect et de la sympathie et ont ouvert largement le Kurdistan (aux réfugiés NDLR),
mais tous les Kurdes n’ont pas la même attitude. Certains sont gênés par notre présence. Il y a un fanatisme chez les incultes »,
ajoute Mgr Petros Mouché. « Notre peuple
n’a pas le courage et l'audace de rentrer
chez lui et de reconstruire et pense toujours
à l’émigration. Et nous ne trouvons pas sage
et prudent de leur demander de rentrer. »
  La question de l’envoi d’un contingent
international, maintes fois réclamé par
les représentants des minorités, n’a pas
été suivie pour l’instant d’engagement
ferme. En France, François Hollande
s’est déclaré prêt « à prendre ses
responsabilités » et à « faire passer des
messages » pour faciliter le retour des
chrétiens. Mais depuis le début de son
intervention en Irak en août 2014, la
coalition internationale a cherché à limiter son action sur le terrain à un rôle
d’appui militaire aux forces kurdes et
irakiennes contre l’État islamique. Et elle n’a pas prévu, à ce stade, de se transformer en force de protection.
  Les Nations unies se sont, pour leur
part, penchées sur le sort des minorités
en dénonçant en juin, sur la base des travaux d’une commission d’enquête, le
« génocide des yazidis » par l’État islamique. «Ilya quelques jours, j’ai prévenu
une mère de la localisation de sa fille esclave sexuelle de Daech à Tall Afar, un bastion
islamiste. Elle m’a demandée laquelle ; celle
de 17 ans ou de 10 ans ? Je connais le cas
d’une fillette de 9 ans violée régulièrement
par des hommes devant sa mère. Le gouvernement kurde a dû créer un « bureau de
rachat des yazidies » vendues comme du
bétail. On parle de réconciliation, mais qui
a participé aux massacres et aux viols ?
Les voisins des yazidis. Comment la victime
pourra-t-elle vivre à côté du bourreau ? »
se demande Vian Dakhil, députée yazidie
au Parlement irakien et figure du sauvetage des prisonnières de Daech.
  Dans la région de Mossoul, des tractations entre les émissaires du gouvernement de Bagdad et les chefs de tribus arabes sunnites ont conduit à un accord de
principe sur la remise aux autorités irakiennes par les leaders tribaux des collaborateurs de l’État islamique. Mais pour
Vian Dakhil, les problèmes de fond ne seront pas, pour autant, réglés. « Daech est
dans la tête des gens. C’est une mentalité
bien ancrée à Mossoul et dans les villages.
Elle s’est implantée bien avant l’apparition
de Daech avec l’éducation islamique et
s’est renforcée avec l’éducation djihadiste », insiste la lauréate du prix Anna
Politkovskaïa.
  Le futur statut des minorités dans leur
région d’origine est également au centre
des préoccupations. Chrétiens et yazidis
réclament de pouvoir gérer de manière
autonome les enclaves où ils sont majoritaires avec le soutien de leurs propres
forces d’autodéfense. « Les minorités ont
droit à une certaine autonomie. Nous voulons une place pour les chrétiens et les as-
syriens, dit Mgr Petros Mouché, non pas
une place séparée qui serait un ghetto, mais des cantons qui seraient reliés aux
cantons yazidis dans un grand gouvernorat autogéré. Cette zone serait associée au
Kurdistan ou au gouvernement central. Ce
serait ensuite au peuple de dire en votant
avec qui nous allons vivre : les Irakiens ou
les Kurdes. »
  La prise en compte des revendications
paraît hypothétique. Chrétiens et yazidis
dépendent du bon vouloir des autorités
irakiennes et kurdes qui ne parviennent
déjà pas à s’entendre sur leurs frontières
et leurs prérogatives. Pour les autorités
kurdes, les yazidis sont des Kurdes comme les autres alors qu’ils se définissent
d’abord comme des yazidis. Elles jugent
prioritaire le règlement de leurs contentieux avec Bagdad et sont tentées de récupérer les minorités pour parvenir à
réaliser leurs objectifs : la consolidation
de leur entité ou l’indépendance. Quant
au pouvoir central, il est pris dans l’inextricable conflit qui déchire le Moyen-
Orient, celui de la guerre sans fin entre
chiites et sunnites.■

Bernard Kouchner: « Le droit d'ingérence est passé de mode »

« J'ai été un grand auteur du droit
d’ingérence, mais le temps des forces
internationales est fini. Les gens n'en
veulent plus. Je serais à vos côtés pour
l’exiger, mais ce n'est plus à la mode
dans la population. Malheureusement,
la réalité des pays occidentaux
a changé. Et ce que l’on a appelé
péjorativement le droit-de-l’hommisme
n’est plus de mise. » Bernard Kouchner
a déconcerté les porte-parole irakiens
des communautés chrétienne
et yazidie lors d'un colloque sur
l'avenir des minorités en Irak.
L'ex-French doctor et ancien
haut représentant de l’ONU de
l’administration internationale civile
au Kosovo a ajouté : « Nous nous
sommes portés vers des minorités
malheureuses, nous avons voulu
les aider, mais regardez la leçon :
nous ne sommes plus sûrs de
notre avenir. C’est un mauvais
raisonnement, c'est un raisonnement
que je déteste, mais il a lieu en France,
maintenant en particulier... »
S'adressant aux évêques Irakiens
présents dans la salle du Sénat, il a estimé qu'« il est bien que
(François) Fillon soit allé à Erbil ».
« Par rapport aux autres, c'est
mieux » a-t-il dit. « Nous (la France,
NDLR) avons aidé dans une toute
petite mesure, mais il n'y a pas eu
d’aide massive et, il faut le
reconnaître, messeigneurs, je préfère
qu'on aide tous les réfugiés. Si les
chrétiens sont les plus malheureux,
les chrétiens d'abord, mais il ne faut
pas sélectionner ses malheureux »,
a conclu l'ancien ministre des Affaires
étrangères de Nicolas Sarkozy. T.O.