L’élection présidentielle a enfin un favori


24 avril 2007
Jérôme  Bastion, correspondant à Istanbul

Le parti de la Justice et du Développement (AKP) au pouvoir a finalement désigné le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, comme candidat à l’élection présidentielle. Tayyip Erdogan, chef du gouvernement et président du parti, conserve ses responsabilités et renonce à la magistrature suprême.


Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan (g) et le ministre des Affaires étrangères
Abdullah Gül (d).
(Photos : AFP/abdullahgul.gen.tr

Après de longues et secrètes consultations, Recep Tayyip Erdogan a annoncé lundi devant son groupe parlementaire que son «compagnon de route», Abdullah Gül, serait le candidat officiel du parti de la Justice et du Développement (AKP), au pouvoir, pour l’élection présidentielle. Le premier tour de scrutin, au suffrage indirect puisque ce sont les députés qui éliront le 11e Président de la République turque, aura lieu vendredi. L’élection de l’actuel chef de la diplomatie, fidèle bras droit de M. Erdogan, ne fait aucun doute, malgré les réticences de l’armée et la contestation affichée de l’opposition social-démocrate au Parlement. Les associations kémalistes, proclamées gardiennes de la laïcité, ont d’ailleurs promis de manifester dimanche à Istanbul.

Comme ces dernières, ceux qui dénonçaient par avance une candidature du Premier ministre Erdogan - parce qu’il allait faire de son épouse voilée la première femme du pays, introduisant le symbole de l’islam conservateur dans le Saint des Saints, le siège de l’état laïc fondé par Mustafa Kemal Atatürk - seront incontestablement déçus. Et ils le sont déjà ! Le Parti républicain du Peuple (CHP) continue, par exemple, de promettre qu’il ne participera pas au vote, voire de contester l’élection devant la Cour constitutionnelle. Et le vice-président de l’Association de la pensée kémaliste (ADD), qui appelle à ce rassemblement dominical en plein processus électoral, Ali Ercan, estimait mardi soir sur Cnn-Türk que «la mentalité est la même» entre les deux candidatures, et que le pays reste exposé à la même menace, celle du «retour en arrière».

Ce qui le dérange, c’est que «la femme du président ait la tête couverte» et qu’elle ait, en son temps (jusqu’à ce que M. Gül prenne part à l’actuel gouvernement), «porté plainte contre l’Etat turc» devant la Cour européenne des droits de l’homme parce qu’elle avait été privée du droit d’étudier à l’université en raison de ce détail vestimentaire. Le voile fait donc son grand retour sur la scène politique turque, par ricochet, alors que, depuis 4 ans et demi que l’AKP gouverne ce pays charnière entre islam et démocratie, il n’a pas fait l’objet de la moindre loi ou «oukaze» tentant de l’imposer ou de faciliter son apparition dans les lieux publics - ce qui ne manque pas de frustrer la minorité conservatrice de ce parti, issu de la mouvance islamiste.

La question du voile toujours là

Can Paker, président de la Fondation turque des études Economiques et Sociales (TESEV), rétorque d’ailleurs - lors du même débat sur Cnn-Türk - que cet attribut féminin est plus «symbole d’émancipation que de régression», et qu’en Turquie, le gouvernement en place a largement participé au développement du pays depuis son arrivée aux affaires, plus qu’à son retour en arrière. La même TESEV avait, il y a quelques mois, surpris tout le monde – et en premier lieu ceux qui affirmaient que le fondamentalisme islamique gagnait du terrain - en publiant une enquête montrant que le nombre de femmes ayant la tête couverte en Turquie avait sensiblement baissé au cours des 7 dernières années, passant de 72,7 à 63,5 % de la population féminine (le simple foulard «traditionnel» sans connotation religieuse régressant de 51,2 à 46,6 %).

Le voile islamique de la «first lady» ne serait-il donc qu’un prétexte pour l’opposition social-démocrate, voire l’armée, protectrice institutionnelle du dogme kémaliste ? Pour Cengiz Aktar, professeur de sciences politiques à l’université Bahçesehir d’Istanbul, l’establishment kémaliste n’a d’autre solution que de «jouer le jeu de la légitimité». L’armée, par la voix du chef d’état-major adjoint Ergin Saygun, a réitéré mardi son attente de ce que le président s’en tienne au «principe de laïcité de la République turque», comme l’avait fait le chef de l’armée la semaine précédente. Un avertissement, mais aussi le signe que cette influente institution respecterait un processus électif démocratique, tout en se tenant aux aguets d’éventuels dérapages. Si ce n’est au premier ou au second tour (pour lesquels une majorité des 2/3 est requise), il ne fait aucun doute que M. Abdullah Gül sera le prochain chef de l’Etat, malgré sa jeune femme voilée, Hayrunnisa.