Le retour de la «question kurde»


Par Marc SEMO
13 septembre 2006

L'attentat de mardi et la multiplication d'accrochages entre l'armée turque et les rebelles du PKK montre que le processus de réformes et de pacification est dans l'impasse • Le leader kurde emprisonné Abdullah Öcalan joue la politique du pire et Ankara durcit sa politique antiterroriste •

 
L'attentat de mardi soir à Diyabakir et ceux qui ont visé les stations balnéaires du sud du pays cet été rappellent que la question kurde se repose en Turquie. Depuis le début de l'été, les accrochages sont devenus quasi quotidiens dans le Sud-Est anatolien à majorité kurde, et, depuis le début de l'année, ont coûté la vie à une centaine de combattants du PKK ainsi qu'à 66 gendarmes et soldats. L'aviation turque a bombardé à la fin août des bases du PKK en Irak du Nord. Au moins 5.000 combattants de la rébellion kurde retranchés dans ces montagnes ont repris leurs opérations dans le territoire turc depuis l'automne et la fin du cessez-le-feu unilatéral proclamé par Abdullah Öcalan.

Même restant à un niveau de faible intensité, ce conflit risque de compliquer la marche turque vers l'UE. «La question kurde constitue l'obstacle majeur dans le processus de démocratisation. C'est ce qui bloque la pleine mise en oeuvre des réformes et ce qui pourrait servir de prétexte à une reprise en main autoritaire», s'inquiète Baskin Oran, professeur de sciences politiques à Ankara.

Quelque 15 millions de Kurdes vivent en Turquie sur une population de 71 millions d'habitants. Sous la pression de Bruxelles, des réformes ont légalisé les droits culturels des minorités, dont l'emploi de la langue kurde dans les médias. Ces changements sont jugés insuffisants par une partie de la population kurde, notamment dans le sud-est du pays. En avril dernier, des violentes émeutes avaient éclaté à Diyarbakir, et les manifestants, dont de nombreux adolescents, criaient des slogans demandant la libération d'Öcalan.

Le leader du PKK continue du fond de sa prison à diriger d'une main de fer ce qui reste de son organisation. En montrant son pouvoir de nuisance, il espère s'imposer comme l'incontournable interlocuteur de toute solution de la question kurde en Turquie, bien que l'Etat refuse toute négociation avec les «terroristes». Il préfère miser sur la politique du pire. En juin, les députés ont adopté une nouvelle loi élargissant l'éventail des crimes susceptibles d'être qualifiés d'actes terroristes et introduisant des restrictions supplémentaires à l'activité des médias. Ce texte qui doit encore être approuvé par le chef de l'Etat revient en arrière sur bon nombre des réformes des dernières années.

Certains intellectuels et organisations de la société civile jugent ce texte d'autant plus dangereux pour la liberté d'expression et de manifestation que la définition du terrorisme dans son article 1 est floue. Le nouvelle loi sanctionne de peines allant jusqu'à six ans de prison ceux feront l'éloge du terrorisme ou publieront les communiqués des organisations considérées comme telles. Elle durcit les conditions de la garde à vue et donne plus de latitude aux forces de l'ordre pour faire usage de leurs armes. «C'est un très net retour en arrière par rapports aux réformes des dernières années», dénonce Yavuz Önen de la Fondation pour les Droits de l'Homme. Le ministre de la Justice Cemi Cicek reconnaît lui-même que «cette loi n'est pas sympathique». Les experts européens s'inquiètent mais les autorités turques soulignent que bon nombre de ces mesures restent en deçà de la législation adoptée par le Grande- Bretagne après les attentats dans le métro de Londres.

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