Le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, dénonce la "menace turque"


29 octobre 2007 | ERBIL (KURDISTAN IRAKIEN) ENVOYÉ SPÉCIAL | Patrice Claude

Toujours massée en nombre près de sa frontière avec le Kurdistan irakien, l'armée turque a poursuivi, dimanche 28 octobre, plusieurs opérations dites de "ratissage", en territoire turc, contre les combattants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste).

Selon CNN-Turquie, une quinzaine d'hommes, présentés comme des activistes du parti interdit, ont été tués, dimanche, par les soldats dans l'est du pays, très loin de la frontière irakienne. Appuyée par des hélicoptères, l'opération, menée par 8 000 hommes, a eu lieu dans une zone montagneuse près de Tunceli et plus à l'est, dans la province d'Erzurun, préalablement bouclée.

Le ministre turc des affaires étrangères, Ali Babacan, ayant répété ces derniers jours que "l'option militaire" au Kurdistan irakien restait "sur la table", la tension reste vive dans toute la région.

Le chef de la diplomatie turque n'a cependant pas obtenu de l'Iran le feu vert qu'il attendait pour une opération anti-PKK en Irak. Reçu, samedi à Téhéran, par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui avait téléphoné la veille au premier ministre irakien, Nouri Al-Maliki, M. Babacan s'est entendu dire que le régime iranien souhaitait que la "crise", aggravée le 21 octobre par la mort de 12 soldats turcs et l'enlèvement de 8 autres, toujours prisonniers des combattants du PKK, "soit résolue pacifiquement".

Pour une fois sur la même longueur d'onde que les Américains - quoique pour des raisons différentes - qui préféreraient ne pas ajouter à leurs ennuis en Irak en acceptant que le nord kurde du pays soit à son tour déstabilisé par une invasion militaire, Téhéran n'en a pas moins indirectement accusé Washington de "soutenir les activités terroristes" du PKK, notamment celles de sa branche iranienne, le groupe armé Pejak (Parti pour une vie libre au Kurdistan, Pejak), qui a multiplié les attaques contre les forces gouvernementales iraniennes ces derniers mois.

A Erbil, la "capitale" de la région autonome kurde d'Irak, Massoud Barzani, président de cette entité quasi indépendante qui a, depuis début 2005, son Parlement, son drapeau et son armée, a déclaré dimanche à quelques journalistes, dont l'envoyé spécial du Monde, qu'il n'avait "pas peur" d'Ankara.

"Je n'accepte pas le langage de menace et de chantage" utilisé par la Turquie, a ajouté M. Barzani. "Je ferai tout pour empêcher ce conflit", dit-il. Mais "s'ils nous envahissent ou s'ils mènent des incursions militaires au Kurdistan irakien, ce sera un acte de guerre. Nous n'aurons d'autre choix que nous défendre", ajoute-t-il. Menacé par Ankara d'une fermeture de l'unique poste-frontière par lequel transite l'essentiel de l'approvisionnement en biens industriels et de consommation courante nécessaires au développement de sa région, M. Barzani estime que ses cinq millions d'administrés "ne mourraient pas de faim" pour autant.

Virtuellement présenté par la presse nationaliste turque comme l'ennemi public numéro un du pays et accusé de soutenir - ce qu'il dément -, les 3 000 à 4 000 combattants du PKK qui sont implantés sur une centaine de kilomètres dans les montagnes frontalières, le président du premier quasi-Etat kurde de l'histoire régionale s'est dit convaincu que la "véritable cible" des menaces d'invasion turque est "moins le PKK" que la zone de 75 000 km2 qu'il gouverne, la seule d'Irak à peu près stable. Ankara se refuse à reconnaître son gouvernement et refuse de négocier directement avec lui ne serait-ce qu'un accord de sécurité sur la frontière commune pour empêcher les infiltrations du PKK. "Chaque fois que nous avons voulu déployer nos soldats sur la frontière, l'armée turque leur a tiré dessus", affirme-t-il.

"Le problème du PKK n'est pas nouveau", dit encore M. Barzani. Fondé en 1978, il a pris les armes à partir de 1984. "L'opinion turque doit poser la question à ses militaires, ajoute-t-il : qu'ont-ils fait ces vingt-trois dernières années ? Aujourd'hui, ils cherchent en nous un bouc émissaire. Mais c'est un problème intérieur à la Turquie, un problème entre leur gouvernement et leur armée. Pour notre part, nous n'avons simplement pas les moyens de contrôler toutes les montagnes. Mais je me demande pourquoi l'armée turque, qui a déployé ces milliers d'hommes à nos portes, ne fait pas le travail de son côté de la frontière ?"

"Je ne suis pas l'ennemi de la Turquie, affirme M. Barzani, mais tant que la question kurde n'aura pas été résolue par la négociation, en s'asseyant tous autour d'une table, la sécurité et la stabilité de la région ne seront garanties."

L'Amérique, dit-il, "est sur la même ligne" que la sienne. L'administration Bush, assure-t-il, ne le soumet à "aucune pression et souhaite, comme nous, résoudre la crise pacifiquement". Pour autant, conclut-il, "nous n'acceptons pas l'attitude turque qui consiste à installer périodiquement son gros marteau (militaire) à nos portes et à nous menacer. Le Kurdistan irakien est une entité régionale légitime. Nous existons, nous sommes une nation, nous avons le droit de vivre en paix."