Le nord de l`Irak en proie à une montée de la violence


AP [11 octobre 2006]
par Yahya Barzanji et Lee Keath

KIRKOUK, Irak (AP) -- Pendant que les forces américaines et irakiennes concentrent leurs efforts sur Bagdad, principal foyer de violence en Irak, les attentats se multiplient de façon inquiétante dans le nord du pays, riche en pétrole, théâtre d'une lutte de pouvoir entre Arabes et Kurdes. Le redéploiement sur Bagdad fait également craindre un regain de violence dans l'ouest.

Les attentats à la voiture piégée ont été multipliés par cinq le mois dernier à Kirkouk et des centaines de familles kurdes ont quitté Mossoul, principale ville du Nord, pour échapper à la violence.
On est encore loin du déchaînement de violence observé à Bagdad, où des milliers de personnes ont péri ces derniers mois dans une vague de meurtres intercommunautaires et d'attaques d'insurgés. Dans les provinces de Mossoul et Kirkouk, le bilan n'a été "que" de plusieurs centaines de morts cet été.

Mais la recrudescence des violences au Nord, région que les autorités américaines espéraient plus stable, souligne la difficulté de garder sous contrôle tous les points chauds du pays en même temps. Elle révèle également des tensions croissantes entre Arabes et Kurdes, ces derniers revendiquant Kirkouk comme une partie intégrante de leur région autonome.

La situation commence à évoquer les affrontements intercommunautaires qui opposent chiites et sunnites à Bagdad. Ces derniers mois, les autorités à Kirkouk et Mossoul ont découvert des corps, les mains attachées, présentant des traces de tortures.
Quelque 2.000 soldats et policiers irakiens ont lancé une opération de ratissage à Kirkouk en fin de semaine dernière, fouillant maison après maison à la recherche d'armes et de suspects.

Le nombre d'attentats à la voiture piégée dans la ville a bondi de trois en août à 16 en septembre, selon la police, le nombre de morts dû aux violences passant de 12 à 42. Les statistiques pour le reste de la province de Kirkouk ne sont pas disponibles, mais un décompte réalisé par l'agence Associated Press fait état d'au moins 93 morts en juillet au lieu d'une vingtaine par mois au printemps. Les attaques sont essentiellement attribuées aux insurgés sunnites, qui ciblent les Kurdes et la police.

Kirkouk est au centre de ce qui pourrait devenir un conflit majeur à l'avenir. Le régime de Saddam Hussein, dominé par les sunnites, y avait mené une politique d"'arabisation", déplaçant des milliers d'habitants kurdes et faisant venir des Arabes dans la cité.
Aujourd'hui, la ville compte un million d'habitants, dont 40% de Kurdes, 30% d'Arabes et une forte minorité turkmène. La Constitution irakienne appelle à aider les Kurdes déplacés à revenir à Kirkouk et à faire partir ceux que l'ancien régime avait amenés, avant la tenue d'un référendum sur l'appartenance ou non de la ville au Kurdistan irakien.

Le cheikh sunnite Abdul-Rahman al-Munshid impute la montée de la violence au fait que, aux yeux des Arabes, les partis kurdes oeuvrent en faveur d'un "nettoyage ethnique".

A Mossoul, dans le nord-ouest, ce sont les Kurdes qui se sentent assiégés. Environ 750 familles ont quitté la ville ces trois derniers mois, fuyant vers des villages kurdes, selon Hamid Zaimil, un représentant kurde du conseil municipal.

Selon Abdul-Ghani Botani, du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), 1.500 familles ont fui la ville depuis la chute de Saddam Hussein en avril 2003. Samedi dernier, un avocat du PDK a été abattu devant son domicile et en août un attentat-suicide à la voiture piégée a frappé les bureaux de l'Union patriotique du Kurdistan (UPK), l'autre grand parti kurde, faisant neuf morts.
D'après un décompte de l'AP, la violence a fait quelque 80 morts par mois de juillet à septembre dans la province de Mossoul, où les arabes sunnites sont majoritaires, contre une dizaine par mois au printemps.

Dans l'ouest du pays, des centaines des 140.000 soldats américains chargés depuis des mois de stopper combattants étrangers et kamikazes voulant terroriser Bagdad ont été redéployés dans la capitale même pour enrayer les violences entre chiites et sunnites, au risque de céder du terrain à l'insurrection sunnite dans la province d'Anbar.

Le général Peter Chiarelli, N2 du commandement amiricain en Irak, assure que les renforts ont été prélevés dans les zones les moins violentes de l'ouest d'Anbar, mais des chefs militaires de la région soulignent qu'elle comprend des villes notoirement violentes comme Haditha, Rawah et Haqlaniyah. Ils se plaignent d'un sous-effectif et de la rotation des troupes, qui rend difficile l'instauration de la confiance avec les civils.

"Là où nous ne sommes pas, l'insurrection arrive", constate le capitaine Chris L'Heureux, 30 ans, redéployé à Bagdad.

AP © Le Nouvel Observateur