Le défi du PKK est devenu l'enjeu majeur des élections turques


Vendredi 20 juillet 2007 | Alain Campiotti, de retour de Kortek

TURQUIE. Derrière les escarmouches à la frontière entre les fidèles d'Abdullah Öcalan et l'armée d'Ankara, l'autonomie du nord de l'Irak et son pétrole. Reportage.

Abdullah Öcalan ne vieillit pas: c'est un homme de pierre. Son portrait en cailloux peints apparaît à flanc de montagne, au détour de la route, loin de Raniyah, le dernier village dans la vallée. Des gardes arrêtent la voiture, interdisent les photos. C'est l'entrée d'une des enclaves contrôlées par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), au nord de l'Irak. Celle-ci, Kortek, est à quelques kilomètres de la frontière iranienne. La plus grande, Qandil, au nord, touche la frontière turque.

Cette semaine, le canon a tonné des deux côtés. Les Gardiens de la révolution ont bombardé une base du Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK), la petite branche iranienne du PKK, pour punir une incursion. Au nord, l'artillerie turque a tiré des salves du côté de Zakho, après deux incidents qui ont coûté la vie à quatre soldats, près de Sirnak, au sud de la Turquie.

Routine d'une guerre de basse intensité. Mais dans la campagne électorale turque qui s'achève, elle a tenu une place centrale. L'opposition républicaine et nationaliste au gouvernement de Recep Tayyip Erdogan s'est emparée des 74 soldats tombés depuis le début de l'année pour dénoncer la mollesse de l'AKP (islamiste modéré) sur les questions de sécurité et dans la lutte «contre les terroristes». L'autre jour, dans un meeting, l'ultra-nationaliste Devlet Bahçeli brandissait une corde pour pendre Öcalan. Mais la peine de mort n'existe plus en Turquie. Depuis qu'il a été pris en 1999, le chef du PKK est en prison à vie sur la mer de Marmara.

L'armée, qui n'aime pas l'AKP, accompagne en sourdine l'opposition. Elle a déployé des renforts dans le sud-est (100000? 200000 hommes?), sur la frontière irakienne, prêts à intervenir de l'autre côté contre les bases du PKK. Elle attendait des ordres, montrait de l'impatience à ne pas les voir venir. Le gouvernement a dû montrer les dents, pas trop: quelques volées d'obus. Abdullah Gul, le ministre des Affaires étrangères, a protesté à Vienne parce que les Autrichiens ont laissé Riza Altun, le trésorier du PKK, prendre l'avion pour Erbil. Il a dit qu'il demanderait des comptes à Washington s'il s'avérait que la guérilla kurde a bien reçu des armes américaines. Drôle d'histoire. L'armée a sorti quatre transfuges du PKK qui affirment avoir assisté à une livraison. Le problème, c'est que les Américains équipent les combattants du PJAK, pour chatouiller les Iraniens. Or le PJAK et le PKK, dans les enclaves d'Irak, c'est la même chose.

La preuve. A Kortek, l'homme de garde, qui a posé sur une chaise le Journal de Bolivie de Che Guevara pour aller chercher un officier, est un Iranien. Son supérieur monte à pas lents d'un abri invisible de la route. Il n'est pas rasé, n'a pas dû dormir depuis des jours. Hamza - il donne ce nom - explique qu'on ne peut pas parler à un cadre du PKK sans avoir pris rendez-vous. Et comme la guérilla n'utilise plus de téléphone... Mais il s'assied, se met à répondre.

Il est dans la montagne depuis douze ans, après une formation militante en Allemagne. «Apo (Öcalan, ndlr.) m'a révélé à moi-même, dit-il. Avant, je ne savais même pas que j'étais kurde. J'ignorais l'histoire et la langue.» Après? «Je me battrai 40 ans s'il le faut. L'armée turque ne nous fait pas peur. Ni les Américains s'ils nous attaquent.»

Que veut maintenant le PKK? Hamza a une théorie amusante: «Il faut conquérir nos libertés avec l'aide de l'Europe, pour arracher l'indépendance.» Öcalan, depuis qu'il est prisonnier, a mis en fait de l'eau dans son vin: il expose dans ses écrits un vague projet de confédération où les Kurdes auraient leur place.

La guerre, qui a repris en 2004 après une trêve liée à la chute du chef, n'est plus aussi atroce que dans les années 1990, quand les villages kurdes étaient rasés par centaines. Le gouvernement d'Ankara, pressé par l'Europe, a ébauché des réformes: le kurde dans les écoles - pas publiques; trois quarts d'heure de programme à la TV. Mais la vraie télévision kurde s'appelle Roj, elle émet du Danemark. Osman Baydemir, le maire de Diyarbakir, «capitale» kurde de Turquie, y a parlé du PKK comme d'une «résistance armée»; il est aujourd'hui poursuivi. Encore un effort...

Avant 2003, l'armée turque n'hésitait pas à lancer des raids dans le nord de l'Irak pour détruire les bases du PKK. Aujourd'hui, avec les Américains dans les parages, qui ne veulent pas d'une déstabilisation de la région autonome, ce n'est plus possible.

L'armée, pourtant, est sur la frontière. Elle n'aime pas cette demi-paix qui la ligote. Et elle a, avec le «pouvoir profond» d'Ankara, un autre objectif: Kirkouk. C'est l'obsession turque: empêcher les Kurdes d'Irak de mettre la main, avec l'aval américain, sur cette ville imbibée de pétrole. Les arguments turcs ne sont pas que militaires: la région autonome dépend économiquement de la Turquie, y compris pour les exportations de pétrole. Kirkouk, cependant, est déjà presque un fief de l'UPK, l'un des deux partis kurdes d'Irak. Et sur la montagne de Kortek, le PKK est installé dans une caserne des peshmergas de l'UPK.