L`armée turque mobilisée à la frontière avec l`Irak pour traquer les rebelles kurdes


Lundi 11 juin 2007 | Envoyée spéciale à Sirnak | Delphine Nerbollier  

TURQUIE. Bagdad a protesté contre les «pilonnages intensif» dans le nord de l'Irak. Reportage dans la ville turque de Sirnak.  

La fête battait son plein samedi soir dans l'un des petits troquets de Sirnak. Une quinzaine d'étudiants en électronique, pimpants, célébraient la fin de l'année scolaire sur la petite piste de danse. Mais à 21heures, la musique s'est tue. «Trois soldats, dont un lieutenant-colonel et un commandant, ont sauté sur une mine», annonce Jehat, l'un des tenants du café. «Quatre autres soldats sont blessés». Les victimes sont militaires, mais pour ces jeunes Kurdes, peu importe. Le cœur n'est plus à la fête.

D'après les autorités, ces soldats seraient tombés dans une embuscade des séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), près de Sirnak. «Si cela n'est pas la guerre, qu'est-ce que c'est, se demande Jehat. Des mines qui explosent tous les jours, des morts du côté des militaires et du PKK, des contrôles d'identité permanents. La guerre n'est pas officielle, mais elle est là.»
L'entrée en vigueur le matin même de «zones de sécurité» dans les provinces de Sirnak, de Siirt et de Hakkari n'a rassuré personne ici, à part le gouverneur de Sirnak, petite ville montagneuse de 60000 habitants entourée de bases militaires. «Les gens exagèrent. Ce n'est pas le retour de l'état d'urgence, explique Selehatin Apari. C'est une simple officialisation d'interdiction de circuler dans certaines zones dangereuses, situées en dehors des villes, et qui étaient déjà officieusement interdites d'accès.» Mais à la station de taxi, la colère couve. «Nous sommes inquiets, les gens ne vont plus oser se déplacer, explique Tekin. Pour les affaires, cette mesure est très mauvaise. On en a assez. Nous voulons la paix et le calme!»

Inquiets et fatigués, les habitants de Sirnak prennent sur eux et observent, impuissant, l'accélération des mouvements de troupes turques dans la région depuis le retour du printemps. Des mouvements qualifiés samedi encore par un responsable militaire local d'«habituels» pour la saison. Sauf que cette année, ils se déroulent dans un contexte de rumeurs d'intervention militaire en Irak où, selon Ankara, 3500 membres du PKK se cacheraient. Rumeurs confirmées samedi par le ministre irakien des Affaires étrangères, Mouhammad al-Haj, qui a envoyé un avertissement à Ankara après des «pilonnages intensifs» effectués dans le nord de l'Irak. Vols d'hélicoptères plus intenses et convois militaires plus visibles, les signes de préparatifs militaires sont nets à Sirnak.

Malgré ces préparatifs et la surenchère des médias nationaux et des partis politiques, rares sont ceux qui, à Sirnak, croient à une intervention turque en Irak. «Ils ne peuvent rien faire sans l'aval des Américains, de Talabani et de Barzani (ndlr: respectivement le président irakien et son homologue du Kurdistan irakien), explique Ibrahim Kartal, 17 ans. Et même s'ils passent la frontière, cela ne changera rien. Les affrontements ont aussi lieu à Tunceli, bien loin de l'Irak! Il faut donc résoudre le problème ici, en Turquie.»

Zeki, un commerçant, se demande lui à qui profite la violence actuelle. «Pourquoi les mines explosent-elles tant à un mois des élections législatives? Certains veulent peut-être faire chuter le gouvernement. S'il va en Irak, il sera rendu responsable des pertes militaires. S'il n'y va pas, il sera accusé de lâcheté. Cette démonstration de force est purement politique, mais elle nous frappe, nous, directement.»

Que l'intervention en Irak se concrétise ou non, la tension a de fait atteint un niveau rarement égalé à Sirnak. Samedi matin, 2000 personnes (15000 selon la police) y ont manifesté pour dénoncer le terrorisme. Photographies de civils assassinés dévoilant la «vérité sur le PKK» en main, elles ont défilé dans les rues de la ville, menées par un véhicule militaire et deux voitures de police, sirènes hurlantes, tandis qu'un hélicoptère survolait le rassemblement, déclenchant les applaudissements de la foule composée de fonctionnaires et de gardiens de villages environnants.

«Je n'ai pas reconnu 100 personnes de Sirnak, constate Emin Irmez, le responsable local du parti pro-kurde DTP. Des manifestants ont lancé des pierres sur notre local, mais nous avons gardé notre sang-froid. Cela aurait pu mal tourner. Ce meeting ressemblait fort à une provocation.» Quelques jours auparavant, l'enterrement d'un soldat originaire de Sirnak, tué dans une attaque du PKK à Tunceli, avait lui aussi créé la polémique, des slogans anti-PKK ayant été lancés par un petit groupe. «Oui, il y a des tentatives de retourner la population locale contre le PKK», constate Cem, 32 ans. Le PKK qui est jugé responsable de chaque mine qui explose, même dans les zones ou l'armée en a elle-même posé.