« Sans accord avec Bagdad, pas de bataille de Mossoul »

mis à jour le Vendredi 9 septembre 2016 à 17h10

Lemonde.fr | SAMEDI 10 SEPTEMBRE 2016

PAR HÉLÈNE SALLON

ENTRETIEN

Massoud Barzani, président du Kurdistan irakien, se dit «optimiste» sur la reprise de la ville à l'EI

Le président du gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK). Massoud Barzani, était en visite en France, jeudi 8 septembre. La préparation de la bataille de Mossoul, aux mains de l'organisation Etat islamique (El) depuis juin 2014, était au cœur des rencontres qu'il a eues avec le président François Hollande, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, et le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault.

« Le Kurdistan irakien est une ligne rouge. Personne n'y restera après la guerre »

Quelles demandes avez-vous adressées à la France ?
Nous avons une relation forte avec la France. Nous sommes engagés dans la même bataille, contre un même ennemi: le terrorisme. Nous avons les mêmes valeurs de paix, de démocratie et de vivre-ensemble. Les peshmergas {forces kurdes] sont en première ligne contre Daech [acronyme arabe de l'EI] grâce à l'aide de la coalition internationale, dont la France. Nous renforçons cette coopération dans l'optique de Mossoul. C'est la priorité. La France nous a déjà beaucoup aidés et continuera à le faire en envoyant des munitions et des spécialistes auprès des peshmergas et en augmentant ses frappes aériennes.

 

Vous avez entamé des négociations avec les autorités de Bagdad en vue de sceller un plan de bataille commun pour Mossoul. Sur quoi portent-elles ?
Mossoul est importante pour tout le monde, pas seulement, pour nous. Notre coordination avec le gouvernement irakien est bonne. Il y a, dans ces négociations, deux aspects : militaire et politique. Un accord a été trouvé sur l'aspect militaire, mais il n'y a pas encore d'accord politique. Sans accord politique, il n'y a pas de bataille de Mossoul.

Qu'avez-vous convenu sur le plan militaire ?
Les peshmergas et les forces irakiennes auront le rôle principal dans la bataille. La participation des milices locales dépendra de l'accord du gouvernement irakien. Mossoul est dans la zone des milices sunnites, il est normal qu'elles participent. Concernant les forces de la mobilisation populaire [composées en majorité de milices chiites], il faut l'accord de la population locale. Si elle est d'accord, nous le sommes aussi. Il faut une bonne coordination entre sunnites et chiites, sinon l'issue de cette bataille ne sera pas belle à voir.

Allez-vous autoriser les forces irakiennes à se déployer sur les fronts nord et est ?
Il y a un plan militaire que l'on respecte. Pour la guerre contre Daech, nous allons faire ce que nous pouvons pour aider les forces irakiennes.

Craignez-vous qu'elles reprennent pied dans les zones « contestées» du nord de l'Irak que vous avez libérées ?
Il nous faut un accord sur ce point. Les peshmergas sont présents pour protéger les populations, donc il n'y a pas besoin que les forces irakiennes se déploient. Dans les « zones contestées», il faudra organiser un référendum pour que les populations se prononcent sur leur rattachement au gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK). C'est à elles de décider. Le Kurdistan irakien est une ligne rouge. Personne n'y restera après la guerre, que ce soit les forces américaines ou irakiennes.

Les peshmergas entreront-ils dans Mossoul ?
Nous n'avons pas cette intention, et cela n'est pas prévu par l'accord. Cela dépendra de la guerre. Si nous entrons, nous ne resterons pas.

Sur quoi porte le volet politique de l'accord ?
Pour le moment, les discussions sont d'ordre militaire. Elles s'intensifieront sur l'aspect politique, le mois prochain. Cela concerne l'administration de la ville de Mossoul et sa province, la représentation de toutes les minorités ethniques et religieuses, et la possibilité que ces minorités puissent protéger leur zone. Les yézidis et les chrétiens ont été les minorités les plus touchées par Daech. Il faut aider les chrétiens à revenir chez eux sans être menacés. Il faut un accord entre le GRK et Bagdad pour assurer leur protection en cas de menace extérieure. Nous discutons aussi du rôle qu'auront les peshmergas et les forces de sécurité irakiennes après Daech.

L'accord de Mossoul est-il conditionné au règlement des différends sur les zones contestées et sur le transfert des recettes pétrolières entre le GRK et le gouvernement central ?
La Constitution irakienne stipule déjà comment cela doit être géré. Il y a un accord sur les recettes du pétrole et du gaz naturel et pour les zones contestées, nous nous en remettrons à un référendum.

Jugez-vous réalisable l'objectif affiché de libérer Mossoul avant la fin de l'année ?
S'il y a un accord politique avant, oui. Nous sommes optimistes et nous allons faire en sorte que ce soit le cas.

 

La Turquie, avec qui vous avez de bonnes relations, a renforcé sa présence militaire dans les zones que vous contrôlez et son soutien aux milices locales. Participera-t-elle à la bataille de Mossoul ?
Je ne crois pas que la Turquie participera à la bataille de Mossoul, mais elle peut aider les forces qui y participeront. Une participation directe n'est pas nécessaire et le gouvernement irakien est contre. Même la Turquie ne veut pas entrer dans Mossoul. Au début de la guerre contre Daech, la Turquie avait deux bases pour former les forces de police et d'armée qui ont fui Mossoul, ainsi que des bénévoles pour participer à la gouvernance de la ville [après sa libération]. Les Turcs ont gardé une base avec l'accord de Bagdad.

Que pensez-vous de l'intervention turque dans le nord de la Syrie, qui vise notamment à empêcher la création d'une région autonome kurde ?
Je suis inquiet pour l'avenir des Kurdes en Syrie. Le Parti de l'union démocratique (PYD) a contrôlé la région et y poursuit la politique du Parti des travailleurs du Krdistan (PKK), avec qui la Turquie est en guerre. Le PYD a échoué à garantir la participation de tous dans le nord de la Syrie. Il a aidé le gouvernement syrien, sans sceller d'accord sur l'avenir de la région kurde. Il n'a pas réussi à s'accorder avec l'opposition syrienne. Par conséquent, il n'y a aujourd'hui pas d'avenir pour les Kurdes [en Syrie].

Vous appelez à la tenue d'un référendum sur l'indépendance du Kurdistan irakien. Est-ce envisageable alors que le GRK est confronté à une grave crise politique ?
C'est un sujet plus important que les partis politiques et les hommes. Même s'il y a des problèmes internes, toute la population est unie sur la question nationale. Nous sommes en train de résoudre les problèmes internes du Kurdistan irakien. Avant de fixer une date, nous négocierons avec le gouvernement irakien, pour avoir son point de vue.

PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE SALLON