«Que le prochain président français reconnaisse l'indépendance du Kurdistan»

mis à jour le Mardi 2 mai 2017 à 16h43

Lefigaro.fr | Par Georges Malbrunot

INTERVIEW - Dans un entretien au Figaro, Massoud Barzani, le président de la région autonome du Kurdistan d'Irak, affirme que « le temps » de la création d'un État kurde « est venu » et souhaite que le divorce avec Bagdad se déroule « pacifiquement ».

LE FIGARO. - La fin de la bataille pour libérer Mossoul de Daech approche. Qui devra gérer la ville, ensuite ?

Massoud BARZANI. - Le combat auquel les pechmergas ont participé avec les forces irakiennes a été très dur. Mais nous avons enregistré de bons résultats, même si la libération totale de la partie ouest de Mossoul reste très difficile. La défaite de Daech ne signifiera pas pour autant la fin de l’État islamique, qui survivra sous un autre nom. Sa menace sera permanente tant que les causes de sa présence dans la région n’auront pas disparu. Les habitants de Mossoul, sous toutes leurs composantes, devront être associés dans un système de gouvernance inclusif, y compris les Kurdes, qui étaient plus de 250 000 à Mossoul avant son invasion par Daech en 2014. Le conseil provincial de Mossoul doit être responsable de la gestion de la ville. Mais cette gestion est si complexe qu’elle requiert des compétences que seul le gouvernement de Bagdad n’a pas. Outre les sunnites, il y a aussi le sort des chrétiens, des yazidis, des Shabaks. Nous devons parvenir à un accord qui garantisse l’inclusivité de ces minorités dans la gouvernance de Mossoul pour qu’elles ne subissent pas le même sort que sous Daech.

Les pechmergas doivent-ils avoir un rôle dans la sécurité de Mossoul, après Daech ?

Les combattants kurdes ne joueront pas le rôle de policiers dans Mossoul. Mais avec les forces armées irakiennes, nous pouvons intervenir en soutien des unités locales pour les aider à affronter les menaces qui persisteront et qui dépassent les capacités de la police locale et des ­habitants de Mossoul. Si nous n’allons pas envoyer des pechmergas dans Mossoul, il n’y a pas besoin, non plus, que des forces irakiennes viennent de Bagdad et d’ailleurs. Nous devons trouver une formule pour empêcher l’entrée d’une force extérieure dans la ville et ses alentours, afin que la sécurité y soit assurée par des locaux. Comment pouvons-nous également sécuriser des élections au conseil provincial et pour la désignation d’un nouveau gouverneur de Mossoul ? Ce sont les conditions qui permettront de créer un environnement qui empêcherait Daech de renaître à Mossoul.

Bagdad a-t-il un plan pour la reconstruction de Mossoul ? Demandez-vous aux troupes étrangères de rester, après la libération de la ville ?

La reconstruction de Mossoul dépasse les capacités du gouvernement irakien. Cette reconstruction nécessite un soutien international de grande ampleur, car les opérations de contre-terrorisme à l’intérieur de Mossoul ne cesseront pas après Daech. Il y aura encore beaucoup à faire contre les terroristes. C’est pourquoi j’appelle les forces étrangères à rester dans et autour de la région de Mossoul, une fois Daech défait. Elles devront rester engagées dans la reconstruction de la ville, mais aussi dans la réconciliation entre les communautés. Sinon, nous allons répéter les mêmes erreurs que les Américains ont commises en 2011 en quittant l’Irak alors que la situation restait fragile.

Vous demandez aux troupes françaises de rester ?

Je suis convaincu que leur maintien serait de l’intérêt de tous. Nous avons une excellente coopération militaire et en matière de renseignements avec la France. Nous tenons à la préserver contre le terrorisme.

Que faire des milices chiites déployées autour de Mossoul ?

Après la libération, la Mobilisation populaire doit quitter la région. Ses hommes doivent rentrer là où ils étaient avant l’offensive sur Mossoul. Nous n’en aurons plus besoin. Chaque force déployée doit revenir sur ses positions d’avant le début de la libération, le 17 octobre dernier.

Y compris les pechmergas ?

Les pechmergas resteront déployés là où ils étaient le 16 octobre. C’est non négociable. Après cette date, des zones ont été libérées grâce aux combattants kurdes. Il revient aux populations de ces régions de dire qui va les protéger. Elles ont besoin de garanties de sécurité. En fonction du nouvel accord que nous espérons trouver avec Bagdad, nous déciderons où les pech­mergas resteront et d’où ils partiront. Mais, nous nous sommes engagés auprès de ces populations à les protéger. Nous avons des obligations envers elles. Si Bagdad ne nous offre pas de garanties suffisantes, nous ne pourrons pas les abandonner. Dans d’autres zones disputées entre nous et Bagdad, l’article 140 de la Constitution prévoit la tenue d’un référendum pour que les gens aient la possibilité de se prononcer sur leur avenir. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les milices chiites n’ont aucune légitimité à rester dans ces zones. S’il y avait eu respect des engagements par Bagdad, ce problème des zones disputées aurait été réglé il y a longtemps. L’article 140 de la Constitution est très clair : un recensement des populations de ces zones et la tenue d’un référendum doivent conduire à une normalisation de la situation.

Oui, mais vous avez avancé depuis dans certaines régions, comme Kirkouk. Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour conserver cette ville pétrolière ?

Ces zones, dont vous parlez, sont toutes kurdes. Nous n’avons pris aucune terre à d’autres. Kirkouk, c’est le Kurdistan, historiquement, géographiquement, cela ne fait aucun doute. Mais cela ne veut pas dire que Kirkouk appartient uniquement aux Kurdes. Kirkouk est pour tous ses habitants : chrétiens, arabes, turkmènes et kurdes. Nous ne voulons pas y exercer un monopole. Après un référendum, toutes les parties devront respecter ses résultats. Mais d’ici là, si des groupes militaires ou des partis politiques veulent imposer leur présence par la force pour changer le statu quo, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger nos acquis.

Vous comptez organiser un référendum d’ici à la fin de l’année pour préparer votre indépendance. Pour Haïdar ­ al-Abadi, le premier ministre, vous devez au préalable demander la permission à Bagdad. Allez-vous le faire ?

Notre référendum est un droit absolu pour les Kurdes. Nous ne demanderons la permission à personne. Nous avons besoin de ce référendum pour disposer d’un mandat clair du peuple afin d’entamer le long processus de négociations avec Bagdad. Le temps de l’indépendance kurde est venu. Mais nous voulons divorcer de l’Irak pacifiquement, à travers le dialogue et la négociation. Depuis un siècle, nous avons tenté de préserver l’unité de l’Irak, d’être des vrais partenaires de Bagdad. Qu’a-t-on récolté à la place ? 4 500 villages détruits, une campagne de gazage chimique, 10 000 membres de ma famille tués. Après 2003, nous avons cru en une nouvelle page avec une Constitution qui garantirait nos droits. Mais Bagdad nous a coupé son aide financière. Des engagements n’ont pas été tenus. Si Bagdad refuse que les Kurdes soient de vrais partenaires, de notre côté, nous voulons juste être de bons voisins. Et à ceux qui s’inquiètent, je dis que loin de créer de nouveaux problèmes, l’indépendance du Kurdistan en résoudra. Le processus conduisant à notre indépendance a commencé. La première étape sera le référendum, mais cela ne va pas se faire en quelques jours.

Avez-vous reçu des garanties internationales de reconnaissance ?

La décision sera prise par le peuple kurde. Si on attend que la communauté internationale nous fasse ce cadeau, l’État kurde ne verra jamais le jour.

Privés de l’aide de Bagdad, avez-vous les moyens de votre indépendance ?

Peu importe, même si le lendemain, nous devions suffoquer, notre priorité, c’est la décision du peuple kurde. Nous sommes fatigués des massacres et des guerres. Les Kurdes n’accepteront plus jamais d’être les subordonnés de quiconque.

Quel message adressez-vous au prochain président français ?

Je lui demande de maintenir le soutien de la France à la cause kurde. Nous n’oublions pas que François Hollande a visité le Kurdistan à deux reprises. Pour nous, c’est une immense satisfaction. Je demande solennellement à son successeur de reconnaître, le moment venu, l’indépendance du Kurdistan, ou au moins de ne pas s’opposer au processus y conduisant.