La Turquie se donne le droit d'entrer en Irak


18 octobre 2007 | LAURE MARCHAND

Le Parlement turc a donné, hier, son aval à une opération militaire en Irak pour traquer les séparatistes.

SANS SURPRISE, la Grande Assemblée turque a adopté hier la motion du gouvernement qui autorise une opération militaire dans le nord de l'Irak pour traquer les sépara-tistes kurdes du PKK. Sur les 526 présents, 507 députés ont voté en faveur de la résolution, valable un an.

Seuls les parlementaires du Parti prokurde pour une société démocratique (DTP) s'y sont opposés. Au sein même du Parti de la justice et du développement au pouvoir (AKP), de nombreux députés d'origine kurde avaient critiqué l'envoi des troupes en Irak, mais ils ont finalement suivi la consigne de vote. « Je ne crois pas qu'une opération militaire sera utile car il y en a déjà eu de similaires dans le passé », a estimé Ahmet Inal, élu de Batman, dans le Sud-Est, en faisant référence aux 24 interventions qui ont déjà été lancées depuis 1990 et qui ne sont jamais venues à bout du PKK. Les nationalistes, eux, ont approuvé le texte, qu'ils jugent encore insuffisant. Le leader du Parti de l'action nationaliste (MHP) a reproché au gouvernement de ne pas aller assez loin : pour Devlet Bahçeli, l'opération militaire devrait empêcher la création d'un Kurdistan indépendant et viser Massoud Barzani, le président de la région, et ses peshmergas, accusés de soutenir le PKK.

En sollicitant le feu vert du Parlement, le gouvernement a donc rejoint les partisans de la manière forte et cédé au chantage émotionnel. L'émoi suscité par la trentaine de morts, civils ou militaires, attribués au PKK ces dernières semaines, est toujours palpable : depuis dimanche, une campagne télévisée baptisée « Soutenir les héros de la lutte antiterroriste », mise au point par l'entraîneur de l'équipe nationale de football, a déjà récolté plus de 20 millions d'euros pour les familles des « martyrs ». Et Kübra Gül, la fille du président de la République, a fait don de la moitié des bijoux qui lui ont été offerts ce week-end pour son mariage !

 Erdogan veut gagner du temps

Recep Tayyip Erdogan a surtout voulu donner un gage aux militaires, pour désamorcer l'un des nombreux motifs de frictions avec l'état-major : autorisation du port du voile à l'université, réforme de la Constitution, terrorisme kurde... Mais en même temps, en franchissant un pas de plus dans la dissuasion, il cherche à gagner du temps. « J'espère sincèrement que cette mesure ne sera jamais appliquée », a-t-il affirmé mardi.

Un déclenchement des opérations avant sa visite à Washington, prévue début novembre, est jugé peu crédible par la plupart des analystes. Même l'état-major, qui insistait depuis des mois pour obtenir un feu vert, paraît désormais moins pressé d'en découdre sur l'échiquier irakien. Le général Ergin Saygun, le numéro 2 de l'armée, a évoqué, lundi, les difficultés d'une intervention dans les montagnes irakiennes à l'approche de l'hiver.

Mais les menaces de la Turquie pourraient commencer à porter les fruits escomptés. Mercredi, le premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, « absolument déterminé à mettre un terme aux activités et à l'existence du PKK sur le territoire irakien », aurait fait une proposition inédite aux Turcs. « Donnez-nous une autre chance et, si nécessaire, menons une opération conjointe » aurait-il déclaré au cours d'un entretien téléphonique avec son homologue turc. Bagdad et Ankara avaient signé un accord de lutte antiterroriste fin septembre, mais cette éventualité n'avait jamais été évoquée. Il reste cependant à convaincre les autorités du Kurdistan autonome d'adhérer à cette option.