La Turquie poursuit son avancée en Syrie

mis à jour le Samedi 12 octobre 2019 à 00h30

Le Figaro | Par Picard Maurin | le 12/10/2019

Les Européens ont montré à l’ONU leur impuissance diplomatique, tandis que les forces turques progressaient au Kurdistan.

MOYEN-ORIENT Impuissants face à l’offensive militaire turque en Syrie, les pays de l’Union européenne s’efforçaient vendredi de faire condamner formellement Ankara devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Pour le deuxième jour consécutif, la Russie, mais aussi les États-Unis, ont fait échouer ces timides efforts diplomatiques, s’opposant à l’adoption d’une résolution sévère. Jeudi, la représentante américaine, Kelly Craft, avait fui les questions embarrassantes, après une déclaration laconique sur « l’inquiétude » de Washington et le vœu pieux de voir la Turquie assurer la sécurité des quelque 12 000 détenus djihadistes placés sous bonne garde des Kurdes.
 
Sur le terrain, l’armée turque poursuit ses coups de boutoir contre la zone frontalière disputée du Nord-Est syrien, maintenant le siège des bourgades frontalières syriennes de Tall Abyad et Ras al-Aïn. Cette offensive a provoqué le déplacement de 100 000 personnes, selon l’ONU. Au moins 41 combattants kurdes et 17 civils ont par ailleurs été tués, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, tandis que 4 soldats turcs auraient succombé lors d’affrontements avec la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), considérée par Ankara comme un « groupe terroriste » du fait de ses liens avec le mouvement de guérilla kurde PKK. Des tirs de roquettes en territoire turc auraient tué dix civils, dont un bébé, et blessé 70 autres, selon les autorités locales. À Qamichli, un attentat à la voiture piégée revendiqué par l’EI a fait, hier, au moins 3 morts. Les forces kurdes affirment par ailleurs que cinq djihadistes de l’EI se sont échappé vendredi d’une prison près de ville.
 
« Je me sens honteux pour la première fois de ma carrière », a confié un membre des forces spéciales américaines à la reporter de Fox News Jennifer Griffin, effondré par l’ordre reçu d’abandonner ses frères de combat kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les YPG constituent l’épine dorsale. Lorsque les premiers tirs d’artillerie turcs ont résonné, ces unités ont appelé leurs « amis » américains pour réclamer ce qu’ils n’avaient jamais eu de mal à obtenir jusqu’alors : un soutien aérien. Cette fois, la réponse est tombée, négative.
 
Noyé dans un concert de protestations, Donald Trump suggère désormais « une médiation entre les Turcs et les Kurdes », sans grande conviction. Un responsable du département d’État confirmait en parallèle que la Maison-Blanche « essayait de trouver un terrain d’entente pour aboutir à un cessez-le-feu ». Mais Trump martelait jeudi sa détermination à extraire les boys des « guerres insensées » du Moyen-Orient. « La dernière chose que je souhaite, c’est de ramener des milliers et des milliers de soldats (là-bas) pour battre tout le monde de nouveau, a-t-il déclaré. Ça, nous l’avons déjà fait », avant d’insister sur le fait que le groupe État islamique avait bien été battu « définitivement et à plate couture ».
 
Parmi le concert de cris indignés, les anciens de l’Administration Trump, ces collaborateurs restés aussi longtemps qu’ils le pouvaient aux côtés d’un président difficilement contrôlable, commencent peu à peu à exprimer leurs états d’âme. L’ancien directeur de cabinet John Kelly conserve le silence, tout comme le secrétaire à la Défense Jim Mattis, pourtant démissionnaire en décembre 2018 lorsque Donald Trump menaçait déjà de retirer les forces spéciales de Syrie, mais ce n’est pas le cas de Brett McGurk et H.R. McMaster. Le premier, envoyé spécial pour la Syrie parti en même temps que Mattis, s’émouvait le 9 octobre sur Twitter de « cette trahison soudaine et inutile des FDS, qui renforce la main de nos adversaires et concurrents dans la région, ainsi que dans le monde ». « L’adage “ne jamais descendre au fond d’un puits au bout d’une corde américaine” est en train de prendre corps, ajoutait-il. L’impact sera durable. »
 
Quant à McMaster, ancien conseiller à la sécurité nationale limogé par Trump en 2018, il avertissait jeudi devant la Foundation for Defense of Democracies que le repli en cours allait provoquer une réaction en chaîne et faire le miel de la Russie. « Nos forces déployées là-bas servaient utilement à prévenir ce que nous voyons à présent se produire : une guerre civile turco-kurde, qui aura de profondes conséquences politiques et humanitaires. Il existe dorénavant un potentiel pour quatre crises simultanées au Moyen-Orient », avec la guerre civile syrienne, les émeutes en Irak et le bras de fer iranien.
 
« Les options diplomatiques existent encore, plaide Brett McGurk, mais elles requièrent un président qui sait exactement ce qui se passe et qui ensuite soutient ses diplomates lorsqu’il décroche le téléphone pour parler à des dirigeants tels que (le premier ministre turc, Recep Tayyip) Erdogan, qui ne partage pas plus nos intérêts que nos valeurs. » Avant de lâcher ce présage : « À présent qu’elle a pris pied en Syrie, la Turquie n’en partira plus. Les intentions d’Erdogan avec cette opération étaient très claires, et Trump lui a donné son blanc-seing. »