La Turquie menace d'intervenir en Irak contre les bases des séparatistes kurdes du PKK


8 juin 2007 | ISTANBUL CORRESPONDANCE | Guillaume Perrier

ashington "n'a rien vu". Et les ministres des affaires étrangères turc et irakien ont démenti, mercredi 6 juin, toute intervention des troupes turques en Irak. "Pour l'instant, il n'y a eu aucune incursion dans un autre pays", a déclaré Abdullah Gül, selon l'agence Anatolie. Certaines sources assurent toutefois que plusieurs centaines d'hommes ont poursuivi des rebelles sur quelques kilomètres en territoire irakien.

Pendant plusieurs heures, la rumeur a couru que des milliers de soldats turcs avaient franchi la frontière pour une "opération limitée" contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Si la grande offensive n'a pas été lancée, la menace se fait plus pesante. "Une façon de tâter le terrain", a réagi Bahoz Erdal, chef de la branche militaire du PKK.

"En tant que soldats, nous sommes prêts", avait lancé, le 31 mai, le général Yasar Büyükanit, chef d'état-major turc, renouvelant sa menace d'une intervention transfrontalière. Selon Ankara, 3 500 séparatistes kurdes seraient réfugiés au Kurdistan irakien, d'où ils mènent des attaques contre des cibles militaires turques. Au moins 50 000 hommes ont été déployés, ces dernières semaines, dans le sud-est de la Turquie.

Une éventualité qui inquiète Washington, qui peine à maintenir le Kurdistan irakien à l'abri de la violence. "Nous espérons qu'il n'y aura pas d'opération unilatérale", a dit Robert Gates, le secrétaire d'Etat à la défense. Mais, depuis l'attentat qui a fait 7 morts le 21 mai à Ankara et qui a été attribué au PKK, "la Turquie est à bout de patience", selon Abdullah Gül. Ankara estime que la situation n'a que trop duré et que "l'organisation terroriste" n'est prise au sérieux ni par les Irakiens, ni par les Américains.

De quoi irriter le général Büyükanit : "Il y a parmi nos alliés des pays qui soutiennent directement et indirectement le PKK." Une critique qui visait clairement Washington. De possibles affrontements avec les peshmergas kurdes irakiens, accusés de complicité avec le PKK, ont été également évoqués. "Les autorités politiques détermineront si, une fois entrés en Irak, l'action sera dirigée aussi contre Barzani."

Le Parti républicain du peuple (CHP, gauche nationaliste) suit la ligne de l'armée, à l'approche des élections législatives du 22 juillet. "Il faut envoyer les troupes en Irak, soutient Onur Öymen, l'un de ses chefs de file. Nous avons soutenu Washington après le 11-Septembre. Personne ne peut nous empêcher d'assurer notre sécurité. On est avec nous ou contre nous. Le peuple turc développe un antiaméricanisme à cause du PKK."

Le ressentiment contre l'allié au sein de l'OTAN était palpable lors des manifestations laïques du printemps, où l'on reprochait à la Maison Blanche de soutenir le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. L'ex-général de la gendarmerie Sener Eruygur, président de l'Association pour la pensée d'Atatürk, l'un des organisateurs des rassemblements laïques, a même estimé que la Turquie devait "quitter l'OTAN pour se défaire du joug de l'Occident". Une ligne dure influente au sein de la hiérarchie militaire, selon Soli Özel, professeur de relations internationales à l'université Bilgi d'Istanbul, pour qui le souverainisme du CHP s'apparente à un "parti Baas à la turque" : "Le sentiment antiaméricain monte chez les kémalistes car les intérêts divergent. Washington veut soigner son alliance avec les Kurdes d'Irak. Mais ils devraient lâcher du lest, par exemple en livrant un ou deux chefs du PKK."

Mais, derrière les menaces d'invasion, se cachent d'autres enjeux et les militaires turcs "sont avant tout des pragmatiques", estime le sociologue Levent Ünsaldi, pour qui "une entrée en Irak sans l'accord des Américains est inimaginable". L'armée chercherait à affirmer sa fermeté et à mettre en porte-à-faux le gouvernement Erdogan en médiatisant une intervention a minima. "Ce n'est pas nouveau. Depuis 1984, il y a eu une trentaine d'interventions en territoire irakien. Mais à quoi servirait une nouvelle opération ? Viser le PKK ? Empêcher la création d'un Etat kurde en Irak ? Ou retarder les élections législatives ?", se demande M. Ünsaldi.