La résurrection d'"Ochirak" et de Saddam

mis à jour le Vendredi 8 novembre 2019 à 18h47

Le Canard enchaîné | mercredi 23 octobre 2019

 

L'ACCUSATION n’est pas mince, et elle n’émane pas de n’importe qui. Sir Richard Dearlove, ancien chef du M16, le service d’espionnage britannique, vient d’affirmer dans les colonnes du « Daily Mail » que Saddam Hussein avait financé, en 1995 et en 2002, les campagnes électorales de Jacques Chirac. Le maître espion, qui officiait à la tête du M16 au moment de l’invasion de l’Irak par les troupes anglo-américaines, en 2003, précise le montant de cette générosité : 5 millions de livres sterling, soit 5,6 millions d’euros.

Et le sir d’insister en ces termes : « Le véritable motif de Chirac pour s’opposer à la guerre du Golfe était qu’il avait accepté des sommes substantielles d’argent » du tyran irakien. L’argent, a-t-il affirmé au « Daily Mail », provenait « des fonds propres de Saddam ». Les services de renseignement américains et britanniques détiennent toujours, selon lui, « de fortes indications » pour le prouver. Mais Dearlove ne donne pas plus de précisions.

 

Chirac atomique

Pourquoi l’ex-patron du M16 a-t-il attendu la mort de Jacques Chirac pour le mettre en cause ? Il s’en explique ainsi dans le quotidien britannique : ce sont les nécrologies parues alors qui l’ont exaspéré, car toutes saluaient sa prise de position sur l’Irak sans rappeler les « relations douteuses » que l’ancien chef de l’Etat avait entretenues avec Saddam Hussein.

C’est en effet sous Giscard président que Chirac, alors Premier ministre, a décidé de faire de Saddam Hussein l’interlocuteur privilégié de la France au Proche-Orient. Il lui offre alors l’accès à l’industrie nucléaire. Le 18 novembre 1975, un traité de coopération est signé entre Paris et Bagdad. La France aide l’Irak à construire un réacteur expérimental de 70 MW à Takrit. Il porte le nom d’Osirak et est très vite surnommé dans ces colonnes « Ochirak » car les liens entre Saddam Hussein et le patron du tout neuf RPR commencent déjà à faire jaser.

Peu à peu, et malgré des opérations de sabotage menées par les hommes du Mossad, les Irakiens sont sur le point de disposer d’assez d’uranium pour réaliser une bombe. En 1981, au lendemain de l’élection de François Mitterrand, les avions israéliens détruisent Osirak, qui ne sera jamais reconstruit. Pendant la guerre Iran-Irak et jusqu’à l’invasion de l’Irak par les troupes de George Bush, Jacques Chirac ne cessera de soutenir le régime de Saddam.

Curiosité : l’article du « Daily Mail », sous-titré « Jacques Chirac a reçu des pots-de-vin de millions de dollars de la part de Saddam Hussein », est daté du 28 septembre. Trois semaines plus tard, aucun journaliste français de la presse écrite ne l’a repris. Un peu de gêne, peut- être.