La minorité chrétienne d'Irak proche de la "désespérance"


11 décembre 2007

Hémorragie, exode : les mêmes mots reviennent pour désigner la même réalité, celle d'un Irak en train de se vider de sa minorité chrétienne. Des évêques irakiens, syriens, jordaniens, égyptiens sont venus sonner l'alarme à Paris, lors de rencontres organisées en novembre par l'Institut européen des sciences de la religion (IESR) et par l'Œuvre d'Orient. Les Eglises de France, le mouvement international Pax Christi et des associations (Chrétiens en Méditerranée...) préparent une campagne de solidarité qui devrait culminer en 2008 pour Pâques.


AFP/JACQUES DEMARTHON
Mgr George Casmoussa, archevêque syriaque de Mossoul, le 27 novembre 2007 à Paris.

Pour ces religieux irakiens, l'une des plus vieilles "chrétientés" au monde, née en Mésopotamie six siècles avant l'arrivée de l'islam, est en voie de disparition. Le pays ne compterait plus que 400 000 chrétiens, soit une chute de plus de la moitié depuis la première guerre du Golfe (1991).

Enlèvements et libérations contre rançon, menaces de mort, spoliations de maison : Mgr Georges Casmoussa, archevêque syriaque de Mossoul, évoque des pressions "insoutenables" pour faire partir la population chrétienne. "Des centaines de familles, des médecins, des ingénieurs, des hommes d'affaires, des commerçants continuent de se réfugier dans des régions plus sûres, dans les villages chrétiens au Kurdistan, ou à l'étranger", explique-t-il.

A entendre l'évêque de Mossoul, la pression des islamistes ne fait que croître : elle va de menaces téléphoniques jusqu'à des enlèvements, de prêtres en particulier. A Mossoul, l'un d'entre eux a été tué et mutilé à Noël 2006. Le 3 juin, un jeune prêtre de 31 ans et trois assistants ont été assassinés à la sortie de la messe dominicale. Des cars conduisant des étudiants chrétiens à l'université de Mossoul ont été attaqués. "Les chrétiens ne sont pas les seuls touchés, convient Mgr Casmoussa, mais ils sont acculés à l'exode. Pour les musulmans, ils restent des personnes compétentes, pacifiques, cultivées. Mais la confiance mutuelle est blessée."

Mêmes témoignages de "profanations" d'églises et d'enlèvements dans le quartier de Dora à Bagdad, où, rapporte Mgr Jean-Benjamin Sleiman, archevêque latin de la ville, "les chrétiens n'ont plus le choix qu'entre la dhimmitude (protection contre soumission) et l'exil". Pour lui, "l'Etat reconstitué n'est pas encore en mesure de gouverner la société ni d'en arbitrer tous les conflits".

Entre 1,2 et 1,5 million d'Irakiens - dont au moins 100 000 chrétiens - sont réfugiés en Syrie. Mais le "pays frère" raidit son attitude. Il a fermé ses frontières, et la plupart des réfugiés vivent d'expédients. "Beaucoup n'ont pas de logement ni de permis de travail. Les enfants ne sont pas scolarisés, parce qu'ils n'ont pas de titre de séjour, témoigne Mgr Antoine Audo, évêque chaldéen d'Alep. Leur horizon est bouché. Ils n'ont aucun espoir de retour en Irak et il leur est difficile de trouver des visas pour émigrer aux Etats-Unis ou en Europe."

La Jordanie compte, quant à elle, 750 000 réfugiés, dont 25 000 à 30 000 chrétiens. Dans ce pays aussi, les possibilités d'accès et de séjour se restreignent et les conditions de vie sont de plus en plus précaires. "La désespérance est grande, assure Mgr Selim Sayeh, vicaire du patriarche latin à Amman. Pour cette émigration sans espoir de retour, la Jordanie n'est qu'un pays de transit. Peu d'Irakiens s'y établissent. Leur seul espoir est d'émigrer au loin."

Pour eux, les évolutions politiques n'annoncent rien de bon. "Les chrétiens se sentent de moins en moins chez eux, assure Mgr Casmoussa, l'évêque de Mossoul. Le nouvel Irak semble promis aux seules trois communautés majoritaires kurde, sunnite et chiite, et nous sommes disqualifiés." Des partis politiques confessionnels chrétiens, appelés "chaldéen", "assyrien", "syriaque", ont vu le jour. Ils disputent à la hiérarchie épiscopale, jusqu'alors son seul porte-parole, le contrôle de la minorité chrétienne. "La question ethnique et raciale est aujourd'hui la plus épineuse en Irak, commente Mgr Casmoussa. C'est sur cette base que toutes les communautés, y compris les chrétiens, tentent de jouer un rôle sur l'échiquier politique pour obtenir le droit à une citoyenneté égale." Mais le résultat est que "les chrétiens sont disloqués, minimisés, sous-représentés dans les sphères de décision". "Ils n'ont pas pu peser pour la rédaction de la Constitution."

Archevêque latin de Bagdad, Mgr Sleiman déplore d'autant plus cette marginalisation que les chrétiens ont été "loyalistes". Ils ont participé à toutes les élections. Mais il regrette l'actuel "repli ethnique et confessionnel" des partis qui les représentent : "La première responsabilité des chrétiens devrait être de se rassembler et de reconstruire, avec leurs concitoyens, un Etat de droit. Ils sont culturellement préparés pour incarner une nouvelle politique irakienne de citoyenneté et même une nouvelle laïcité capable de traduire, dans des valeurs communes, la préoccupation pour le bien commun. N'est-ce pas ce que vous appelez la République ?"