La justice turque jette en prison de nombreux «enfants terroristes»

mis à jour le Mercredi 17 février 2010 à 11h58

Tdg.ch | GABRIELLE DANZAS/DIYARBAKIR

La répression s’accentue contre la génération de «l’intifada kurde». Des mineurs sont condamnés à de très lourdes peines.

Depuis la prison de Diyarbakir, dans l’est de la Turquie, Berivan envoie de longues lettres à sa mère sur du papier coloré de fleurs roses, dans une écriture enfantine: «Tu me manques tellement maman, essaie de me sortir de ces quatre murs.»

L’adolescente de 15 ans a été condamnée fin janvier par une cour criminelle spéciale à 7 ans et 9 mois de prison pour «crimes commis au nom d’une organisation illégale», «manifestations hors-la-loi» et «actes de propagande pour une organisation illégale. La jeune Kurde avait été arrêtée en octobre à Batman, une ville voisine, au cours d’un rassemblement de soutien à la guérilla du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), classée terroriste par la Turquie et l’Union européenne.

A son procès, elle a nié avoir jeté des pierres contre les forces de l’ordre. «Ma fille se rendait chez son oncle. En descendant du bus, elle est allée voir par curiosité le rassemblement, rien de plus», s’insurge Meryem, sa mère, assise sur un coussin dans le salon dépourvu de chauffage. «Elle est traitée comme la pire des criminelles», ajoute-t-elle.

Avec son sourire timide et ses traits sages, Berivan est devenue le symbole de la répression accrue de la justice turque contre les enfants kurdes interpellés lors de manifestations pro-PKK.

Quatre-vingt-trois autres jeunes sont actuellement incarcérés à Diyarbakir. Selon l’Association turque des droits de l’homme, 3000 mineurs ont été condamnés ou poursuivis en 2008 et 2009, essentiellement dans les régions à majorité kurde.

La génération de l’«Intifada kurde», comme les médias l’ont surnommée, tombe sous le coup de la loi antiterreur. Elle est condamnée à de très lourdes peines de prison pour des jets de pierre et de cocktails Molotov contre les policiers, ou pour une simple participation à une manifestation interdite.

Les plus de 15 ans ne sont pas jugés par des tribunaux pour mineurs. «Certains écopent de vingt ans, sans réduction», fustige Canan Atabay, une avocate de Diyarbakir. «Prononcer de telles sentences ressemble à une vaste comédie, proteste-elle. Il faut revoir de fond en comble l’arsenal législatif». L’un de ses 22 clients mineurs, âgé de 16 ans, est accusé d’avoir jeté des cocktails Molotov. Il risque jusqu’à 44 ans de prison.

Le gouvernement islamo-conservateur a promis de s’attaquer à la situation. Mais le projet de loi, présenté en novembre, n’est toujours pas à l’ordre du jour du parlement. S’il était voté en l’état, estime l’Association des droits de l’homme de Diyarbakir, «il resterait possible de prononcer une peine supérieure à dix ans». Les condamnations à la prison ferme demeureront la norme.

Les sirènes de la guérilla

«Ces jeunes en prison sont les enfants des Kurdes tués ou torturés par l’Etat turc», estime Arif Akkaya, porte-parole d’un collectif de familles, qui fait référence aux 45 000 morts, victimes du conflit depuis 1984. «Une telle expérience, poursuit-il, ne peut conduire qu’à leur radicalisation.»

Il redoute que son fils, condamné à sept ans et six mois de prison et remis en liberté au bout de dix mois dans l’attente de la décision de la Cour d’appel, ne cède aux sirènes de la guérilla. La mère de Berivan, elle, assure que sa famille «n’a jamais été politisée»: «Mais si l’Etat ne pardonne pas à ma fille et si, dans huit ans, elle veut partir dans la montagne, je ne lui dirai jamais non.»