La face cachée du Kurdistan irakien


17 octobre 2008 | Al Hayat | Nizar Aghri

Contrairement aux apparences et aux discours officiels, la situation dans cette partie du pays est loin d'être rose. Le clientélisme et la corruption s'enracinent dans la société, souligne l'intellectuel kurde Nizar Aghri dans les colonnes d'Al-Hayat.


Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis

Lorsque les Américains ont occupé l'Irak, le régime de Saddam Hussein, cauchemar des Kurdes, s'est effondré comme un château de cartes. Après des décennies de peur, de répression et d'extermination, un avenir plein de promesses semblait s'ouvrir devant eux. En réalité, lorsqu'on se rend dans les villes, on se rend compte que les habitants ont du mal à joindre les deux bouts. Quand on les interroge sur leurs conditions de vie, ils se montrent critiques. Ils accusent leurs dirigeants de penser uniquement au pouvoir au lieu de servir l'intérêt général et de ne pas répondre à l'urgence de la situation.

Les pratiques du pouvoir obéissent à des valeurs claniques, alors que le Kurdistan est un Etat quasi indépendant. Les nominations dans les instances gouvernementales se font par cooptation au sein d'un des deux partis et les fonctionnaires sont généralement choisis selon des critères personnels et tribaux. Dans le secteur économique, les chantiers de BTP et les contrats avec les investisseurs étrangers sont accaparés par un cercle restreint de personnes. La vie politique est dominée par les deux principaux partis, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), dirigé par Massoud Barzani, et l'Union patriotique du Kurdistan (UPK) de Jalal Talabani. Selon Abdelwahed Mohamed, un fonctionnaire, "ces deux partis contrôlent tout. Et ils vont jusqu'à s'entre-tuer dans leur lutte pour le pouvoir et les richesses."

Privés de leurs droits économiques et sociaux, les citoyens n'ont pas les moyens de jouer leur rôle politique, de participer aux prises de décision et d'influer sur la vie publique. A Souleimanieh, la deuxième ville du Kurdistan irakien et fief de l'UPK, les habitants se plaignent de n'avoir accès à l'eau courante que quatre heures tous les trois jours et à l'électricité que trois heures par jour. La pollution de l'eau a provoqué des cas de choléra. Une femme raconte qu'un de ses fils en est mort. "Nous avons sans arrêt demandé de l'aide au gouvernement, mais sans résultat", explique-t-elle. Il est vrai que le budget du Kurdistan irakien est considérable, avec plus de 6 milliards de dollars l'an passé, essentiellement alimenté par la part régionale des exportations pétrolières. Les Kurdes savent qu'une manne financière s'est abattue sur la région, mais au lieu de servir à effacer le sous-développement, elle se trouve entre les mains d'un petit nombre de personnes. Les membres des deux partis au pouvoir préfèrent des profits rapides aux projets à long terme respectueux de l'intérêt général.

Un fossé se creuse entre les citoyens ordinaires et l'élite dirigeante. Selon Ari Harsin, un ancien combattant des peshmergas, "certains des responsables actuels ont passé vingt années avec moi dans le maquis. Ils étaient des patriotes exemplaires. Maintenant, ils se déplacent dans des 4 x 4 aux vitres fumées et s'entourent d'une nuée de gardes du corps." Beaucoup de gens parlent de l'apparition d'une classe de nouveaux riches qui affichent leur richesse avec insolence. Ils se recrutent parmi les dirigeants des deux partis et les anciens chefs des peshmergas. Les loyers, les biens et les services ont fortement augmenté dans les villes, parfois de 500 %, et certains services ne sont tout simplement plus fournis.

Les deux partis dominants affirment qu'ils servent la cause nationale sacrée et constituent un rempart contre l'ennemi qui se tient en embuscade. Mais les gens disent que la corruption, le clientélisme et le favoritisme s'enracinent, que les partis empiètent sur les domaines du gouvernement et qu'ils dévoient l'Etat. Le parti, la famille et le clan sont tellement entremêlés qu'il est difficile de connaître le vrai paysage politique. Il y a évidemment des lois, mais la contradiction est flagrante entre les textes et la réalité. Ainsi, l'enthousiasme et l'espoir nés au début de l'autodétermination ont cédé à une sorte d'abattement. Beaucoup de jeunes Kurdes n'ont pas trouvé de travail et ont perdu l'espoir d'un avenir meilleur. Ils n'ont plus qu'un seul rêve : quitter "l'oasis démocratique" et émigrer, par tous les moyens possibles.