La diaspora kurde se mobilise pour Kobané

mis à jour le Jeudi 20 novembre 2014 à 12h00

Lepoint.fr | De notre envoyé spécial à Suruç, Guillaume Perrier

Ils viennent de France, de Suisse, des Pays-Bas et veulent sauver la ville frontalière entre Syrie et Turquie qui résiste vaillamment à l'État islamique.

"Je suis d'abord venu en septembre, sur mes propres deniers. Et sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens me demandaient comment ils pouvaient aider les réfugiés de Kobané. Du coup, j'ai décidé d'ouvrir un compte sur Internet pour que les gens puissent participer. Mais je ne m'attendais pas à un tel engouement."

L'initiative lancée par Cahit, un trentenaire d'origine kurde qui vit en banlieue parisienne, a largement dépassé ses espérances. "En ouvrant la cagnotte, on se disait qu'on ramasserait peut-être 2 000 euros en deux semaines. Là, on est à plus de 11 000." Grâce à un sens aigu de la sensibilisation via Twitter, Cahit a recueilli des dons du monde entier : d'Australie au Nicaragua en passant par la France. Bien plus d'argent que les collectes habituelles organisées par la diaspora kurde, "déjà saignée à blanc par une année particulièrement difficile".

Bonnes volontés

Avec la seule aide de sa femme et d'un ami de Strasbourg venu l'épauler, Cahit a monté son opération en quelques jours. Auprès de quelques grossistes de Gaziantep, il a négocié les meilleurs prix pour acheter des lots de savons, de brosses à dents, de dentifrices et de couches pour enfants. De quoi constituer environ 2 500 kits d'hygiène à distribuer ensuite dans les camps de réfugiés. "À chaque étape, je publie sur Twitter des photos et les factures, parce que je tiens à agir en toute transparence. C'est sans doute la première fois que cela se fait comme ça au Kurdistan, plaisante-t-il. J'ai promis que je distribuerai mon aide directement. Il s'agit d'être à la hauteur de la confiance que les gens m'ont apportée."

Pour l'aider à empaqueter ses dix tonnes de marchandises, Cahit a mobilisé les bonnes volontés dans son village, près de la ville de Birecik, une région acquise à la cause du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). C'est dans cette campagne recouverte de pistachiers qu'est né en 1949 Abdullah Öcalan, le leader de la rébellion kurde. Il a ensuite apporté le tout à Suruç, à la frontière avec Kobané, où se trouvent plusieurs dizaines de milliers de réfugiés dans le besoin, en empruntant un camion à la municipalité.

Dans les camps de réfugiés, on croise de nombreux Kurdes venus d'Europe pour soutenir leurs compatriotes. Aram, étudiant en théâtre venu de Suisse, Mehmet, membre d'une association kurde de Grigny (Essonne), ou encore Zozan, arrivée des Pays-Bas pour acheter plusieurs centaines de matelas. La solidarité de la diaspora kurde à travers le monde a été d'un secours décisif pour les 200 000 habitants de Kobané qui ont fui l'avancée des djihadistes de l'organisation État islamique (EI) et se sont réfugiés en Turquie.

Le ballet des ONG

"Je suis issu d'une famille de patriotes, je ne pouvais pas rester sans rien faire dans mon petit confort à Paris", témoigne Cahit. Malgré ses promesses, le gouvernement turc, qui accueille déjà près de deux millions de réfugiés syriens, n'a en effet apporté qu'un secours limité à ces milliers de Kurdes, jugés proches du PKK. Un camp de l'AFAD (direction des catastrophes et des situations d'urgence), retranché derrière des blindés de la police, a été installé à Suruç. L'écrasante majorité des familles de Kobané est prise en charge dans cinq autres camps montés par les municipalités kurdes, soutenues par toute une nébuleuse d'organisations. Et notamment par le Heyva Sor, le Croissant-Rouge du Kurdistan, proche du PKK. Deux systèmes d'aide humanitaire parallèles coexistent, confirme l'envoyé d'une grande organisation humanitaire internationale, obligé de composer avec cette réalité.

De retour à Paris, Cahit, informaticien dans une société de plusieurs dizaines de salariés, ne songe désormais qu'à sa prochaine mission. Grâce à Twitter, il a ouvert une nouvelle campagne de dons, cette fois pour venir en aide aux milliers de réfugiés yézidis, une minorité monothéiste originaire du Kurdistan irakien, qui ont été contraints de fuir la région du Sinjar cet été.