L'Irak s'inquiète des opérations turques à sa frontière


11.06.07 | ISTANBUL CORRESPONDANCE

'imam chiite Moqtada Al-Sadr a ajouté, dimanche 10 juin, sa voix au concert de protestations et de menaces de représailles contre la Turquie après les bombardements qui ont frappé, ces derniers jours, les régions frontalières du Kurdistan irakien. "Nous ne resterons pas silencieux face à cette menace. Le peuple kurde fait partie de l'Irak et il est de notre devoir de le défendre", a-t-il déclaré.

Samedi, le ministère irakien des affaires étrangères avait protesté auprès de l'ambassade turque à Bagdad contre la série de bombardements aériens qui auraient provoqué d'importants dégâts dans des zones rurales de la région de Dohouk, et demandé l'arrêt immédiat des tirs. "Nous sommes contre toute intervention militaire ou toute violation des frontières, a rappelé le chef de la diplomatie, Hoshyar Zebari, et tous les problèmes peuvent être résolus par le dialogue."

REUTERS/OSMAN ORSAL
Deux chars turcs circulent dans le sud-est de la Turquie le 8 juin. Face aux séparatistes du PKK réfugiés au Kurdistan irakien, l'armée turque multiplie les interventions armées.

Au moins 3 500 séparatistes kurdes sont réfugiés dans des camps disséminés dans les montagnes du Kurdistan irakien. Des bases arrière d'où partiraient des attaques contre des cibles militaires dans le Sud-Est anatolien, avec le consentement voire le soutien, selon Ankara, des autorités kurdes irakiennes et de Massoud Barzani. "Nous avons besoin de signaux positifs (...), sinon il est sans intérêt de mener un dialogue juste pour le plaisir de le faire", avait observé Levent Bilman, porte-parole du ministère des affaires étrangères turc.

Cette escalade verbale inquiète Washington au plus haut point. "Une guerre en Irak entre les Turcs et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, séparatiste) doit être évitée à tout prix", écrit l'ancien secrétaire d'Etat à la défense, Peter Brookes, dans le New York Post. Il faut dire que, depuis plus d'un an, l'émissaire spécial pour la lutte contre le PKK, l'ancien général Joseph Ralston, n'a obtenu aucun résultat sérieux.

"COUP DE MASSUE"

Mais l'état-major turc ne croit plus guère aux vertus du dialogue pour régler la question du PKK. Près de 100 000 soldats ont été massés dans les régions proches de la frontière irakienne et la menace d'une opération transfrontalière s'est considérablement accrue, à l'approche des élections législatives, prévues le 22 juillet. L'opération a même déjà un nom : "Coup de massue". Les affrontements quotidiens, les obsèques déchirantes et médiatisées de jeunes soldats turcs tombés en "martyrs" renforcent un peu plus chaque jour ces velléités belliqueuses. Dimanche, cinq rebelles et un "gardien de village" ont été tués dans des accrochages. Dans les grandes villes, la tension est également palpable. Une explosion, dimanche, dans un quartier d'Istanbul, a fait 14 blessés.

Dans un nouveau communiqué publié, vendredi, sur le site Internet de l'état-major, le chef des armées turques a répété sa détermination à lutter contre "l'organisation terroriste, séparatiste et raciste" et a souligné qu'il avait prédit "une recrudescence du terrorisme à partir de mai".

Ces derniers jours, les deux attaques de convois militaires qui ont tué respectivement 4 et 3 soldats, dans la région de Sirnak, ont ravivé le ressentiment. C'est dans cette ville, un fief kurde situé à 50 km de la frontière irakienne, que plusieurs milliers de personnes ont défilé, samedi, contre le PKK, brandissant des drapeaux turcs. Ces manifestants ont scandé "Vous ne diviserez pas la nation turque !" à l'appel de l'Association pour la pensée d'Atatürk, déjà à l'origine des grands rassemblements "laïques" du mois d'avril. Cette organisation ultranationaliste, dirigée par un ancien général de gendarmerie, s'est imposée comme le levier civil des militaires qui réclament que "la grande nation turque exprime en masse son opposition face aux actions terroristes". Et donc son soutien à une intervention militaire en Irak.

Depuis samedi, les habitants des provinces de Siirt, Sirnak et Hakkari voient resurgir le spectre de l'état d'urgence, en vigueur de 1980 à 2002 dans le Sud-Est turc. L'armée évoque cette fois des "zones de sécurité temporaires", mises en place pour trois mois. Les entrées et les sorties sont strictement contrôlées.

Certains observateurs estiment que les militaires cherchent à dessiner une zone tampon, à cheval sur la Turquie et l'Irak, pour endiguer les tentatives d'intrusion du PKK. Ces derniers jours, les troupes turques ont fait quelques incursions limitées en territoire irakien, qui peuvent être perçues comme des préparatifs.


Guillaume Perrier

Benoît XVI demande la protection des chrétiens d'Irak

En recevant pour la première fois le président américain, George Bush, samedi 9 juin à Rome, le pape Benoît XVI s'est inquiété de "la situation préoccupante en Irak et (des) conditions critiques dans lesquelles se trouvent les communautés chrétiennes" dans le pays. Au cours d'un entretien d'une demi-heure, le chef de l'Eglise catholique a réitéré le souhait du Vatican, inchangé depuis la première guerre du Golfe, en 1991, d'une "solution régionale et négociée des conflits et des crises qui troublent la région".

George Bush a répondu que les Américains feront tout pour que les chrétiens d'Irak soient protégés et pour que la Constitution irakienne garantissant la diversité religieuse soit respectée.

George Bush a ensuite longuement rencontré les responsables de la communauté catholique Sant'Egidio, très engagée dans des actions diplomatiques et humanitaires en Afrique : "Président, c'est la guerre qui est mère de toutes les pauvretés", ont-ils souligné. - (Corresp.)