«L'essentiel, c'est de voter»

Référendum. Hosham Dawod, anthropologue irakien et chercheur au CNRS:
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Par Jean-Pierre PERRIN (samedi 15 octobre 2005)

anthropologue irakien et chercheur au Centre d'études interdisciplinaires des faits religieux (CNRS-EHESS), Hosham Dawod explique pourquoi le référendum pourrait provoquer une nouvelle dynamique politique.

Dans un contexte de quasi-guerre civile, chaque communauté ne va-t-elle pas aller voter en fonction de ses seules arrière-pensées ?

Nous avons, c'est vrai, un contexte particulier. L'Irak est un pays occupé, avec des conflits accentués par des divisions confessionnelles et ethniques, une ingérence de plus en plus agressive de certains voisins et, surtout, une incapacité à gérer consensuellement cette période critique de transition. Le souci constitutionnel s'affaiblit dès lors devant l'exigence politique du moment : les chiites veulent imposer à la Constitution une posture confessionnelle ; les Kurdes exigent de préserver leur place, leurs avantages et leur accès disproportionné au pouvoir ; et les sunnites, très divisés, souhaitent regagner le terrain perdu depuis la chute de Saddam et la perte de leurs avantages.

Le texte est très flou...

C'est un texte évolutif qui prend en compte l'équilibre des forces dans l'Assemblée. Dans trois mois, elle ne ressemblera plus à celle sur laquelle les Irakiens se prononcent, puisque 40 à 50 articles sur 140 ont été laissés en suspens et seront légiférés ultérieurement à la majorité simple. Dans l'article 2, on voit par exemple qu'il n'est plus permis de légiférer contre les principes fondamentaux de l'islam et, dans le même article, qu'on ne peut pas le faire contre la démocratie et les droits de l'homme. Cela revient à dire : si nous avons un gouvernement islamique, sa politique sera de ramener l'article vers l'islam. Si une majorité laïque l'emporte, ce sera l'inverse. Le contexte du moment est plus important que le texte.

Les sunnites semblent vouloir davantage participer au scrutin.

Après sa stratégie calamiteuse depuis la chute de Saddam, un vrai changement s'opère au sein du camp sunnite. L'insurrection n'est plus présentée comme l'unique réponse à sa perte de pouvoir. Sa participation à la rédaction de la Constitution a suscité une dynamique politique. Une partie des sunnites a même appelé à voter oui, bien que sa motivation réelle demeure le scrutin législatif du 15 décembre. Ce camp est d'ailleurs très divisé. Il oscille entre pragmatisme politique et ultraradicalisme. Entre ces deux pôles, beaucoup de notables, d'anciens militaires, de religieux, de chefs de tribu hésitent encore à adopter une position définitive par rapport à l'évolution politique en cours. Leur participation aux discussions sur la Constitution, et plus tard aux législatives, montre qu'une grande partie d'entre eux voient dans ce processus une issue à leurs problèmes et une possibilité d'accéder partiellement au pouvoir. Le défi de Washington sera de réussir à les intégrer.

On ne voit pas pour autant l'insurrection faiblir.

Parce que les insurgés ont beaucoup de facilités pour développer une résistance acharnée. Et que le processus n'est pas accompagné par des infrastructures permettant de le consolider. Il faut aussi un rééquilibrage au profit des sunnites lors des prochaines élections et une participation régionale pour empêcher les infiltrations de combattants étrangers. Cela dit, l'histoire au jour le jour ne doit pas nous faire oublier que depuis deux ans et demi l'Irak est passé du stade de pays occupé à une souveraineté limitée, puis à des élections libres ­ même si l'Assemblée est boiteuse sans les sunnites ­ et à un référendum précédant de nouvelles élections. La Constitution amplifiera le processus politique. On voit par exemple le conseil des oulémas (principale représentation politique de la guérilla, ndlr) appeler à voter contre. Or, l'essentiel, c'est de voter, pas d'être pour ou contre. On voit mal les gens prendre un bulletin un jour et leur kalachnikov le lendemain. Bien sûr, la violence ne s'arrêtera pas maintenant. D'autant que le seul objectif des radicaux islamistes sunnites est d'apporter le chaos et de pousser les communautés les unes contre les autres.

Quelles seront les conséquences pour la région si ce processus politique réussit ?

Ca sera un contre-modèle parce que l'Irak partage avec ses voisins des caractéristiques communes. Mais s'il échoue, ça sera encore plus grave pour la région : ce pays va devenir la base du terrorisme djihadiste, à deux pas des plus grandes réserves du pétrole du monde, de l'Iran et d'Israël. On doit se souvenir que la guerre au Liban, pourtant un petit pays, a influencé tout le Moyen-Orient.

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