L'assassinat de Mechaal Tamo met à l'épreuve la retenue des Kurdes de Syrie

mis à jour le Mardi 11 octobre 2011 à 20h24

Lemonde.fr | Christophe Ayad

L'assassinat de Mechaal Tamo, un responsable politique kurde très engagé dans la révolution syrienne, marque-t-il un tournant dans la mobilisation contre le régime de Bachar Al-Assad, qui craint cette communauté de 3 millions de personnes (10 % de la population) très organisée ? L'annonce de la mort de M. Tamo, tué par des inconnus, vendredi 7 octobre à Kamechliyé (nord-est), a immédiatement entraîné des manifestations. Samedi, 50 000 personnes ont assisté à ses funérailles à Kamechliyé, au cours desquelles deux manifestants ont été tués. Dimanche, les manifestations se sont étendues à Derbassiyeh, Malikiyeh et Amouda, où une statue géante de Hafez Al-Assad, le père de l'actuel chef de l'Etat, a été saccagée. Au même moment, des manifestants kurdes s'en prenaient aux ambassades de Syrie à Vienne, Berlin et Genève, hissant même le drapeau kurde à Londres.

Malgré cette flambée de violence, le pouvoir syrien, qui nie toute responsabilité dans l'assassinat de M. Tamo, a fait preuve d'une retenue remarquable au regard de la violence déployée ailleurs. Depuis le début des troubles, le 15 mars, il ménage la communauté kurde, qu'il a durement matée dans un passé récent, notamment en 2004, lorsqu'un soulèvement avait été réprimé dans le sang et l'indifférence.

Cette prudence s'explique par le fait que la douzaine de partis kurdes disposent de militants disciplinés et de relais extérieurs, en Irak ou en Turquie. Ainsi, l'Union démocratique (PYD), le plus organisé et le plus important des partis kurdes syriens, est proche du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) turc, un mouvement armé interdit, en guerre contre Ankara. Un millier de Kurdes syriens seraient présents dans la principale base du PKK, qui compte 3 000 hommes dans le djebel Al-Qandil, au nord du Kurdistan irakien. Leur retour au pays mettrait en difficulté l'armée syrienne, minée par les désertions et épuisée par les protestations.

Mais pour l'instant, le PYD et les autres formations kurdes ont décidé de ne pas entrer en conflit ouvert avec le régime. "Le PYD n'a aucune sympathie pour ce régime basé sur le nationalisme arabe, analyse Ignace Leverrier, ancien diplomate. Mais il le sait affaibli et cherche à en tirer le maximum avant qu'il ne tombe." Le PYD n'a pas oublié que la Syrie a livré Abdullah Öcalan, le chef du PKK, à la Turquie en 1998, mais la méfiance à l'égard du reste de l'opposition, dominée par les islamistes et les nationalistes arabes, reste tenace.

Dès les premières semaines de manifestations, le pouvoir, qui prend garde à ne pas tirer à balles réelles dans les villes kurdes, a annoncé qu'il accorderait la nationalité aux quelque 300 000 Kurdes syriens privés de papiers d'identité. Le processus est en cours pour 60 000 d'entre eux. Plus étonnant, le gouvernement a toléré l'ouverture par le PYD de trois centres culturels (à Alep, Kamechliyé et Malikiyeh) et de quatre écoles en langue kurde. Inimaginable il y a peu.

Jeu régional complexe

La moitié des 640 militants du PYD détenus dans les geôles syriennes ont été libérés. Et le chef du PYD, Salem Muslim, officiellement recherché, est réapparu au grand jour pour participer, le 17 septembre, à Damas, à une réunion d'opposants tolérée par le régime. M. Muslim est devenu vice-président du Comité national pour le changement démocratique, un regroupement d'opposants concurrents du Conseil national syrien (CNS), qui a la faveur des Occidentaux. Des partis kurdes sont membres du CNS, pas en leur nom propre mais via la déclaration de Damas, signée en 2005 par plusieurs formations d'opposition. C'était le cas de Mechaal Tamo, un franc-tireur plus populaire auprès des jeunes manifestants kurdes que sur la scène politique où il ne pouvait s'appuyer sur un parti important.

Le Comité national pour le changement démocratique, lui, demande le démantèlement de l'appareil répressif mais pas le départ du président Assad. Cette position reste-t-elle tenable après l'assassinat de M. Tamo ? Cela dépendra de la rue kurde, mais aussi d'un jeu régional complexe auquel se mêlent l'Iran, l'Irak, dont les chefs kurdes ne veulent pas mettre en péril leurs acquis en s'impliquant dans l'aventure syrienne, et la Turquie, hostile à Bachar Al-Assad mais plus encore à un réveil kurde à ses frontières.