L'armée turque veut aller en Irak


13 avril 2007 Jérome bastion (Correspondant à Istanbul)

Le chef d'état-major, Yasar Büyükanit, réclame une décision politique. Il estime que la région kurde au nord de l'Irak présente une menace pour Ankara.

Si vous me demandez : "faut-il lancer une intervention armée en Irak du nord ?", en tant que militaire, je vous répondrais : "il le faut". Les militaires, surtout quand ils sont turcs et particulièrement quand il s'agit de lutte contre la rébellion kurde, n'ont pas pour habitude de tourner autour du pot.

C'est donc sans surprise, certes, mais aussi avec clarté que le chef d'état-major turc, le général Yasar Büyükanit, a livré son message "urbi et orbi" sur la situation sécuritaire de son pays.

Sur le front intérieur, l'armée turque a lancé des opérations de grande ampleur pour prévenir une recrudescence des actions de la guérilla, a-t-il rappelé. Une campagne "de printemps" qui s'est soldée le week-end dernier par une dizaine de morts dans les rangs de l'armée et 29 victimes côté rébellion.

Appel aux politiques

Quant à une opération transfrontalière contre les troupes du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) retranchées en Irak du nord, elle serait "bénéfique", assure M. Büyükanit.

Pourtant, il ajoute que cette intervention "nécessite une décision politique", puisque "c'est le Parlement qui vote" tout déploiement de troupes à l'étranger.

Or, aucune demande en ce sens n'a été présentée au gouvernement, a-t-il répondu aux questions des journalistes. Mais il ne fait aucun doute pour lui que, si cet aval politique était donné, l'intervention serait un "succès" car l'Armée a "largement les moyens de cette tâche" souligne-t-il. Un appel du pied à peine caché au gouvernement, qui n'a plus à attendre que la situation se détériore encore pour décider de se saisir du problème : l'armée turque est prête, et elle le fait savoir. Un avertissement clair, le dernier peut-être, également adressé aux dirigeants kurdes irakiens, accusés de ne pas collaborer dans la lutte contre le terrorisme qui sont ainsi placés face à leurs responsabilités.

Le drapeau kurde

Car pour le chef d'état-major, ''jamais la Turquie n'a été soumise à un risque aussi grand'' qu'aujourd'hui, dit-il en évoquant la reprise des opérations armées du PKK.

Et s'il glisse sans transition à la situation politique en Irak du nord, c'est parce que, selon lui, ''la présence du PKK au nord du pays et la quasi-indépendance de la zone kurde sont intimement liées''. Or, pour le général Büyükanit, ''ce qui se passe là-bas est inacceptable'' ; et de citer le drapeau kurde, l'hymne national et même une banque centrale dont s'est dotée la zone kurde.

Des pas vers une indépendance qui, pour lui, serait "non viable"; il se permet même de prédire - ou de souhaiter ? - que les groupes arabes sunnites ne manqueraient pas d'entrer en guerre contre les Kurdes. Une chose est sûre : les deux guerres du Golfe ont été très dommageables à la Turquie sur le plan du terrorisme, selon lui, et l'avenir ne s'annonce pas meilleur, prévient-il, promettant de ne pas rester simple spectateur.

Un président laïc

Le chef d'état-major de l'armée turque est également sorti jeudi de sa réserve habituelle pour souhaiter que le président qui sera élu le mois prochain soit un défenseur de la laïcité. Le parlement doit désigner en mai le successeur d'Ahmet Necdet Sezer, un laïc farouche qui a entretenu des liens étroits avec l'armée tout au long de ses sept années à la présidence. L'élite laïque turque, dont font partie notamment les hauts gradés de l'armée et les magistrats, s'inquiète des ambitions du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui vient de la mouvance islamiste.