Kirkouk happée par la guerre civile irakienne


3 mai 2007 | Envoyé spécial à Kirkouk PIERRE PRIER

Le projet de référendum sur le transfert au gouvernement fédéral kurde de la ville pétrolière du nord de l'Irak encourage les attentats.

À L'ENTRÉE de Kirkouk, on voit des puits de pétrole et des maisons en construction. Deux symboles. Le pétrole est convoité par le gouvernement autonome du Kurdistan. Ce dernier encourage fortement les Kurdes, chassées de Kirkouk par la politique d'arabisation de Saddam Hussein, à rentrer au pays. Ils devraient grossir l'électorat en vue du référendum, prévu avant la fin de l'année, pour savoir si la ville, actuellement en territoire irakien, doit être rattachée au gouvernement fédéral kurde.


« Ce référendum, les Arabes le rejettent totalement », s'exaspère un membre arabe du Conseil provincial, Mohammed al-Jabouri, issu d'une importante tribu et fier d'être né à Kirkouk, comme son père. « Si le référendum a lieu, on risque que la guerre civile nous rejoigne. Kirkouk sera coupée en deux. Elle deviendra un petit Bagdad. » Mohammed al-Jabouri est également membre du comité pour l'application de l'article 140, qui prévoit, avant le référendum, la « normalisation ». C'est-à-dire le retour des réfugiés en échange du départ, moyennant compensation, des « Arabes d'intérêt », envoyés par Saddam pour changer la composition ethnique de la ville. Ces derniers n'ont aucun représentant au comité, mais Mohammed al-Jabouri prend leurs intérêts en main. « Le gouvernement de Bagdad est un gouvernement extrémiste et confessionnel, s'emporte-t-il. Il veut profiter de l'article 140 pour chasser les Arabes. Ils vont bientôt distribuer les formulaires pour les compensations. Mais je rappelle aux gens que le départ n'est pas obligatoire, contrairement à ce que l'on dit ! On peut choisir entre rester ou être compensé. Je sais ce que je dis, je suis le responsable technique du comité de l'article 140. »

Les attentats visent toutes les communautés

Les Arabes ne sont pas les seuls à s'opposer au référendum. Il y a aussi les Turkmènes, une population d'origine turque dont Ankara entend protéger les intérêts. La Turquie redoute en outre une expansion du territoire kurde, préambule, à ses yeux, à un Kurdistan indépendant qui attirerait dans son orbite les Kurdes turcs. Comme les pays arabes gardent un oeil sur les populations sunnites, et que l'Iran défend le gouvernement de Bagdad, à majorité sunnite, les pessimistes considèrent que la guerre civile a déjà commencé à Kirkouk.

Les groupes djihadistes sunnites, Tawhid al-Djihad (Unification du djihad), Kataeb Thawra Achrin (les Phalanges de la XXe révolution), Ansar al-Sunna (les Partisans de la sunna) ou el-Awda (le Retour), multiplient attentats de kamikazes ceints d'explosifs et les enlèvements. « L'opposition farouche des Arabes et des Turkmènes fournit un environnement permissif aux djihadistes », reconnaît, avec un soupçon d'euphémisme, l'ONG de résolution des conflits International Crisis Group. On parle aussi d'infiltrations de l'Armée du Mahdi du chiite radical Moqtada el-Sadr. Les attentats visent désormais toutes les communautés, brouillant les pistes sur les responsables.

Le Kurde Sarar Kamarkhan, chef adjoint du « bureau de sécurité » de Kirkouk, accuse, pour sa part, les djihadistes sunnites. Après avoir traversé un jardin aux arrangements floraux délicats - une passion du chef, Halo Nadjat - on montre patte blanche à des militaires au look techno-guerrier américain, avec micro et oreillettes. Ce sont des Peshmergas, des combattants du Parti kurde démocratique (PDK) de Massoud Barzani, dont la photo trône dans toutes les pièces. Barzani est président, mais du gouvernement régional du Kurdistan, favorable à l'inclusion de Kirkouk. Ses hommes sont pourtant solidement implantés dans la ville, avec l'aval de Bagdad. « C'est le gouvernement régional kurde qui nous fournit notre budget. Mais nous avons de bonnes relations avec le gouvernement national, la police et les Américains », affirme Sarar Kamarkhan.

Antennes de brouillage

Incapable de contrôler sa propre capitale, le gouvernement de Bagdad a délégué aux hommes du PDK une bonne partie de la gestion de la sécurité à Kirkouk. Les Peshmergas affirment monter leurs opérations antiterroristes conjointement avec les forces de la coalition et du gouvernement central. Pour preuve, une patrouille de trois « Humvees » de l'armée américaine se présente à l'entrée de la caserne. Comme d'habitude, ils sont arrivés en trombe, tous phares allumés et hérissés d'antennes de brouillage qui coupent toutes les ondes radio sur leur passage, téléphones portables compris, pour échapper aux bombes télécommandées. L'alliance entre les forces américaines et les Peshmergas enflamme Mohammed al-Jabouri, le conseiller arabe : « Le bureau de sécurité travaille pour les partis politiques kurdes, pendant que les Américains regardent », fulmine-t-il.

Sarar Kamrkhan, le chef adjoint des Peshmergas, dénonce « l'ingérence extérieure » par djihadistes interposés. « Leurs bases sont en dehors de Kirkouk, à Riyadh, Abassiya et Howedja », explique-t-il. Trois villes proches de Tikrit, cité natale de Saddam Hussein. Le conseiller arabe refuse d'admettre l'origine sunnite des attentats : « Ce sont les Iraniens et les Américains qui les commettent », jure-t-il.

Le référendum pourrait faire éclater le chaudron de Kirkouk. S'il a lieu. Pour l'instant, aucune date n'est fixée...