Kirkouk, bombe à retardement kurde en Irak

mis à jour le Lundi 27 juillet 2009 à 10h07

Lefigaro.fr | Georges Malbrunot

Le retrait américain des villes irakiennes relance les revendications des Arabes et des Kurdes sur cette ville multiconfessionnelle, riche en pétrole.

Alors que les Kurdes ont massivement participé samedi aux élections législatives et présidentielle dans leur région autonome du nord de l'Irak, le sort de Kirkouk, à la lisière du Kurdistan, constitue «l'un des problèmes les plus dangereux» pour le pays, vient encore de rappeler le premier ministre, Nouri al-Maliki. Ces dernières semaines, à l'approche de ces élections qui ne devraient pas changer la donne au Kurdistan, la tension est encore montée d'un cran entre les Kurdes et le gouvernement central à Bagdad.

Massoud Barzani, qui devrait être réélu président du Kurdistan, fait du rattachement de la province pétrolière de Kirkouk à la région kurde une question de principe «constitutionnel», dont al-Maliki ne veut pas entendre parler. Barzani s'appuie sur l'article 140 de la Constitution irakienne, qui prévoit l'organisation d'un référendum pour décider du sort de cette province, qui recèle les deuxièmes plus grandes réserves pétrolières du pays, derrière le sud. Appuyées par Bagdad, les autres communautés locales - sunnites, chiites et Turcomans - s'opposent à ce scrutin.

Depuis 2003, les Kurdes ont en effet réinstallé nombre de leurs partisans à Kirkouk, parvenant ainsi à renverser en leur faveur l'équilibre démographique de cette ville, où Saddam Hussein mena une politique d'arabisation forcée.

Résultat des faits accomplis sur le terrain, les incidents se multiplient entre les miliciens kurdes (les pechmergas) et l'armée irakienne, tandis que sur le plan politique, les deux camps usent d'une rhétorique incendiaire, contribuant à envenimer la situation. «Kirkouk est kurde comme Erbil, Souleimanieh ou Dohouk», martèle Massoud Barzani, qui refuse tout compromis. Décidé à ne pas lâcher d'un pouce, le Parlement autonome kurde a voté le 24 juin une Constitution, qui prévoit d'intégrer au Kurdistan, non seulement Kirkouk, mais aussi les quinze autres «territoires disputés» avec Bagdad.

 

Une attaque frontale

Mais le gouvernement central n'entend pas laisser les Kurdes dériver vers la sécession. Invoquant la lutte contre le terrorisme et la défense des infrastructures pétrolières, il envoya dès juillet 2008 des milliers de soldats à Kirkouk, où les pechmergas ont pris position, grâce au feu vert américain, depuis le renversement de Saddam Hussein.

Sur place, les Kurdes ont alors vécu comme une véritable attaque frontale la nomination du général, Abdel Amir al-Zaydi, ancien officier baasiste de Saddam Hussein, à la tête de la 12e division déployée dans la ville.

 

Un statut spécial selon l'ONU

Côté arabe, la colère gronde également. Les sunnites et certains chiites accusent les Kurdes de préparer leur indépendance, tandis que la minorité turcomane veut créer des milices armées, pour, officiellement, se défendre face aux fréquents attentats qui la frappent. «Le face-à-face tendu pourrait déclencher par inadvertance un conflit plus large en l'absence de communication rapide, précise et d'une direction politique forte», avertit le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG) dans un récent rapport.

Grâce aux richesses du pétrole, les Kurdes pensent détenir le levier pour financer leur autonomie vis-à-vis de Bagdad. «Mais le gouvernement kurde surestime ses capacités en la matière, analyse Joost Hilterman, expert à l'ICG. Si les pechmergas contrôlent le puits de Kourmala et ses 35 000 barils/jour, l'armée irakienne elle tient les deux plus importants puits de Kirkouk.» Les États-Unis et l'ONU sont inquiets des risques de dérapage dans la région. Appuyée par Washington, la mission des Nations unies en Irak travaille depuis des mois sur une solution médiane, prévoyant un statut spécial pour Kirkouk, qui aurait des liens institutionnels à la fois avec les pouvoirs central et régional kurde.