Kendal Nezan: « Il faut redessiner les frontières du Moyen-Orient»

mis à jour le Vendredi 6 octobre 2017 à 15h14

Lefigaro.fr | Par Thierry Oberlé

Le président de l'Institut kurde de Paris souhaite que la France accompagne la marche du Kurdistan irakien vers l'indépendance.

«Les Kurdes sont les acteurs du futur Moyen-Orient que l'on espère démocratique et séculier face au régime des ayatollahs Iraniens et à la Turquie autocratique d'Erdogan.»

Kendal Nezan rentre d'Erbil, en Irak, où il a assisté au référendum sur l'indépendance du Kurdistan, approuvée par 92 % des votants.

LE FIGARO. - Que représente pour vous ce référendum d'indépendance?
Kendal NEZAN. - Pour la première fois de son histoire, une partie du peuple kurde a eu la possibilité d'exprimer démocratiquement et pacifiquement ses aspirations. C'était un moment de fierté et de joie pour la population du Kurdistan irakien, qu'elle soit kurde, chrétienne, turkmène ou arabe, et pour les Kurdes de la diaspora. Le droit à l'autodétermination fait partie de la charte des Nations unies. Au nom de quoi demanderait-on un État pour les Palestiniens et le refuserait-on pour les Kurdes, qui forment une nation très ancienne?

Mais le scrutin s'est déroulé contre l'avis de tous et n'est reconnu par personne.
Les positions vont sans doute évoluer. Les Kurdes sont déçus par la position prise par leurs alliés, en particulier les États-Unis. La position française était médiane. La France peut jouer à l'avenir un rôle de médiateur. L'opinion publique kurde espère qu'elle va prendre acte de ce qui s'est passé et qu'elle va proposer sa médiation pour un règlement pacifique car un conflit aurait des conséquences incalculables sur la guerre contre Daech et la stabilité régionale.

Risque-t-on d'assister à un effet de contagion dans les territoires kurdes voisins?
La première conséquence visible du référendum est pour les Kurdes de Syrie. Le régime de Damas a critiqué le référendum au Kurdistan irakien mais, sur les conseils des Russes sans doute, a fait une offre de fédération aux Kurdes. En Iran, d'énormes manifestations populaires ont eu lieu dans la plupart des villes du Kurdistan iranien le soir du scrutin. Pour éviter que les Kurdes d'Iran et de Turquie n'en arrivent à souhaiter une séparation, il est nécessaire d'améliorer leur sort. Dans un mariage heureux, il n'y a pas de raison de demander le divorce. Je pense que beaucoup de Kurdes préféreraient faire partie de la Turquie avec une ville comme Istanbul où ils sont 3 millions, mais si on détruit leurs villes, enferme leurs élus, l'effet du vote du Kurdistan irakien pourrait être contagieux. Erdoğan, qui s'est allié à l'extrême droite nationaliste turque après le coup d'État raté de juillet 2016, a un discours hostile aux Kurdes. Il va avoir à choisir entre ses relations fructueuses avec le Kurdistan irakien et l'obsession idéologique antikurde.

S'agit-il d'un tournant pour l'idée nationale kurde?
L'idée nationale kurde, qui remonte à 1697, traverse les siècles. En 1920, la communauté internationale reconnaît aux Kurdes le droit à avoir un État, mais le traité de Sèvres n'est pas appliqué. Un siècle d'histoire tragique et mouvementée plus tard, les Kurdes viennent de franchir un passage décisif pour le mouvement national kurde. Si la suite est accompagnée intelligemment par la communauté internationale, cela peut se dérouler pacifiquement. Si l'on fait l'économie d'un accompagnement, les conséquences seront graves pour la stabilité régionale et ruineraient aussi la crédibilité des Occidentaux. Le Kurdistan est la seule région du Moyen-Orient où la démocratie, le respect des minorités et des droits de l'homme et l'esprit séculaire sont défendus par une population. Ne pas le défendre serait une défaite morale pour nos valeurs.

Pourquoi, au Moyen-Orient, à la fin de l'histoire, ce sont toujours les Kurdes qui perdent?
Les Kurdes perdent temporairement, mais ils sont toujours là. Après la Première Guerre mondiale, il y avait 3 millions de Kurdes. Et malgré les défaites, les déportations, les massacres, il y a aujourd'hui 40 millions de Kurdes. On ne peut pas les éliminer. Ils sont les acteurs du futur Moyen-Orient que l'on espère démocratique et séculier face au régime des ayatollahs iraniens et à la Turquie autocratique d'Erdogan. Ils vont y arriver. Ils y parviendront plus rapidement s'ils sont soutenus. Les pays occidentaux avaient encore un certain lustre, une certaine attractivité voici encore trente ans. Ils ont perdu leur influence face à la poussée des mouvements intégristes chiites et sunnites, qui sont devenus dominants. Le Kurdistan est le dernier îlot. Les Kurdes veulent juste gérer leurs affaires sur les territoires de leurs ancêtres et vivre dans une société ouverte et pluraliste.

Faut-il redessiner les frontières du Moyen-Orient?
Les frontières sont faites pour le bonheur des peuples, disait Vaclav Havel. Si les peuples n'ont plus envie de vivre ensemble au sein d'un même État, on ne peut les forcer éternellement. L'Irak a existé pendant près d'un siècle, soit beaucoup plus longtemps que l'URSS ou la Yougoslavie. Aujourd'hui, les Arabes sunnites ne veulent pas être sous la férule d'un régime sectaire chiite irakien. Les sunnites de Syrie ne veulent pas être sous la férule sanglante du régime alaouite. Les Kurdes non plus. Il serait temps d'organiser une conférence internationale avec l'ensemble des parties et modifier la carte avec un État sunnite irakien et syrien, un État kurde en Irak et, si les Kurdes de Syrie veulent s'y joindre, une fédération et enfin un État alaouite...•