Irak : Un Etat fantoche miné par les sécessions

Par Marc SEMO, 10 mars 2007

La question kurde, le contrôle de l'énergie et l'exercice du pouvoir hypothèquent l'avenir de l'Irak.

C'est sur un pays menacé d'éclatement, dévasté par la guerre civile, livré aux milices et groupes armés que se penche ce samedi la conférence internationale de Bagdad.
Que contrôle le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki ?

La «zone verte», c'est-à-dire un camp retranché de quelques kilomètres carré au centre de Bagdad auquel la population n'a pas accès, et sa périphérie. Les autres quartiers sont sous le contrôle des milices chiites et des groupes armés sunnites. L'épuration intercommunautaire y est devenue la règle, provoquant la mort de milliers de citadins et la fuite de dizaines de milliers d'autres. Le reste de l'Irak se divise aussi en régions chiites et sunnites. A Bassora, la seconde ville de l'Irak et la capitale du Sud, naguère l'une des cités les plus ouvertes du pays, la part sunnite de la population est tombée de 40 % en 2003 à moins de 14 %. La plupart des villes du Sud sont sous le contrôle de milices chiites, certaines totalement fanatiques comme l'Armée du Mehdi, qui se haïssent les unes les autres et se font parfois la guerre. Dans le pays sunnite, l'armée américaine tient les villes et les groupes armés la campagne. En encourageant les milices à intégrer la police et l'armée, les Américains ont commis une lourde erreur. Celles-ci sont devenues une force dans la force. Des ministères de l'Intérieur et de la Défense partent à présent des escadrons de la mort, qui sèment la terreur dans les quartiers sunnites. Rivalités et conflits opposent également les groupes sunnites, notamment les «nationaux» aux «transnationaux», liés à Al-Qaeda.
 
Jean-Pierre perrin


L'exploitation du pétrole peut-elle garantir l'unité du pays ?
 
Le projet de loi sur le pétrole, approuvé par le gouvernement et qui doit être adopté prochainement par le Parlement, a provoqué la colère de l'Assemblée des oulémas, influente chez les sunnites. «Les forces d'occupation se sont hâtées de faire adopter cette loi afin que les droits de générations d'Irakiens soient vendus», a-t-elle dénoncé. Les sunnites, déjà écartés du pouvoir, craignent de faire les frais des nouvelles règles de partage de la manne pétrolière. Les réserves d'or noir irakien, les troisièmes au monde, sont concentrées dans le Sud chiite et le Nord kurde. La nouvelle loi devrait permettre une répartition équitable entre les 18 provinces du pays. Les revenus du pétrole seront versés sur un compte fédéral puis redistribués aux provinces, au prorata de leur population. La loi favorisera ainsi l' «unification» du pays, se sont félicités le gouvernement Al-Maliki et l'administration américaine. Le texte permet aussi à des compagnies étrangères d'exploiter, en exclusivité, des gisements pétroliers. Une première depuis la nationalisation de 1972. Une disposition qui devrait profiter, dans un premier temps, à la région kurde, la seule épargnée par les violences et où d'importants gisements ont été mis au jour. D'autant que les régions pourront directement négocier des contrats pétroliers, même si l'ensemble du secteur pétrolier est censé être supervisé par un organisme fédéral et une entreprise nationale indépendante. La production actuelle dans le reste du pays demeure désespérément faible, à cause de l'insécurité et de la corruption : l'Irak exporte actuellement 1,5 à 2 millions de barils par jour, près d'un million de moins qu'avant la guerre. Les majors américaines et britanniques hésitent à investir dans le pays, laissant le champ libre aux entreprises d'Etat russes et chinoises.
 
CHRISTOPHE AYAD


La question kurde risque-t-elle de précipiter l'éclatement du pays ? 


La crainte d'un éclatement de l'Irak inquiète tous ses voisins et se focalise d'abord sur la région kurde. Indépendant de facto, ce territoire de 4 millions d'habitants échappe à la tutelle de Bagdad depuis 1991. Les combattants kurdes assurent le contrôle des frontières et aucun soldat ou policier irakien n'est déployé dans cette région où ne flottent plus les couleurs irakiennes. La nouvelle Constitution votée à l'automne 2005 affirme que «le gouvernement du Kurdistan est le seul gouvernement officiel dans le territoire qu'il administre».  «Si à un moment précis le peuple kurde estime qu'il est de son intérêt de proclamer l'indépendance, il le fera sans craindre personne», met en garde Massoud Barzani, le président régional, qui comme les autres dirigeants kurdes est un fidèle allié de Washington.

Ce fragile statu quo risque de voler en éclats à cause de la question de Kirkouk, la riche ville pétrolière et multiethnique que le régime de Saddam Hussein avait placé administrativement hors de la région kurde. Le régime y a ensuite mené une politique d'arabisation systématique. Les Kurdes revendiquent la ville comme leur capitale et exigent la tenue d'un référendum dont le résultat ne fait guère de doute. Aux dernières élections, en janvier 2006, les Kurdes ont obtenu quelque 300 000 voix sur 560 000 inscrits. Depuis la chute du régime baasiste, ils ont «rekurdisé» la ville, au grand dam des Arabes de souche ou installés par Saddam, mais aussi d'une bonne partie des Turkmènes, minorité turcophone. Les autorités irakiennes craignent que, en institutionnalisant leur contrôle sur Kirkouk et ses réserves d'or noir, les Kurdes ne soient encore plus tentés par la sécession.

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