Irak: la Constitution de la dernière chance

ImagePar Christophe BOLTANSKI - lundi 15 août 2005

Les députés ont jusqu'à ce soir pour se mettre d'accord sur un projet, respecter le calendrier fixé par les Etats-Unis et éviter à l'Irak davantage de chaos.Imagees députés irakiens sont engagés dans une course contre la montre. D'ici ce soir minuit au plus tard, ils doivent s'accorder sur un projet de Constitution, pour le soumettre à référendum à la mi-octobre. Un échec bouleverserait le calendrier prévu par les Américains, risquerait d'entraîner de nouvelles élections générales, sur fond de violence redoublée, et plongerait encore davantage le pays dans le chaos. Cela constituerait également un sérieux revers pour le président Bush, qui doit faire face à une opinion américaine de plus en plus critique à l'encontre de sa politique en Irak (lire ci-dessous).

Désaccords. Dans un pays fracturé selon les lignes confessionnelles, chiites, sunnites et Kurdes se disputent depuis des semaines le pouvoir et l'argent. Le régime sera-t-il ou non fédéral ? Comment, surtout, la rente pétrolière sera-t-elle partagée ? Quel poids aura la charia, la loi islamique ? Quelle sera la place des femmes ? Même le nom du pays a posé problème. Les Kurdes réclamaient la référence à son caractère «fédéral». Les chiites demandaient l'inclusion du mot «islamique». Faute de mieux, chacun devrait se contenter du nom actuel : république d'Irak.

Le chef de l'Etat, le Kurde Jalal Talabani, s'était dit confiant samedi, annonçant un accord sous vingt-quatre heures. Selon lui, la plupart des points en litige ont été réglés et les différends ne portent plus que sur quelques articles. Hier, pourtant, l'ambassadeur des Etats-Unis à Bagdad, Zalmay Khalilzad, très présent durant le débat, disait ne pas prévoir une issue avant aujourd'hui.

L'autonomie du Kurdistan, qui existe de facto depuis maintenant treize ans, demeure une des principales pierres d'achoppement. Plus encore que ses pouvoirs, ce sont ses contours qui divisent les négociateurs. Sous le régime baasiste, la protection des Occidentaux, qui s'arrêtait au 36e parallèle, tenait lieu de frontière. Les Kurdes veulent aujourd'hui étendre leur province jusqu'à Kirkouk, ville dont ils ont été chassés par dizaines de milliers du temps de Saddam Hussein et qui est entourée d'immenses gisements de pétrole. L'examen de cette question délicate pourrait être renvoyé à des jours meilleurs, après le retour des réfugiés.

Pétrole. Jeudi, le chef du principal parti chiite, l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak (Asrii), a relancé spectaculairement le débat sur le fédéralisme. Lors d'un rassemblement de ses partisans, dans la ville sainte de Najaf, Abdul Aziz al-Hakim a réclamé la création d'un «Chiistan», une région autonome chiite, qui inclurait les champs pétrolifères de Bassora. De quoi réveiller les pires cauchemars des sunnites, qui se retrouveraient réduits à une zone centrale, aride et privée d'or noir. «Les Kurdes et ceux de Bassora auront le pétrole et nous n'aurons que le désert», s'est écrié le cheikh Hamid Farhane Abdallah al-Mehendi, un chef tribal de Fallouja, bastion de la guérilla. Pour calmer les craintes sunnites, certains proposent de partager la rente pétrolière entre les provinces sur une base démographique.

La sortie d'Al-Hakim pourrait n'être qu'une manoeuvre pour mieux faire accepter ses revendications sur la charia, autre pomme de discorde, avec les laïques, cette fois. Les principaux dirigeants chiites, le grand ayatollah Ali Sistani en tête, continuent d'exiger que l'islam soit la source principale de la législation irakienne. C'était hier la question «la plus importante pas encore réglée», selon Khalilzad. En revanche, les leaders politiques ont finalement accepté de maintenir un quota minimal de 25 % de femmes à l'Assemblée.

Pressions. Si aucun compromis n'est trouvé d'ici ce soir, la loi fondamentale transitoire prévoit la dissolution de l'Assemblée et de nouvelles élections. Un délai supplémentaire de quelques semaines pourrait être toutefois donné aux législateurs. Les Américains semblent les plus pressés d'aboutir, au point d'être accusés par un membre kurde du comité constitutionnel d'être «uniquement intéressés par les fast-foods et les fast-Constitutions». D'après le Washington Post, ils auraient même proposé un projet clés en main aux Irakiens. Le respect de l'échéance leur permettrait d'entamer un retrait de leur armée qui a déjà perdu 44 soldats depuis le début août.

Même si les députés irakiens accouchent d'un texte au forceps, leur projet de Constitution risque de manquer d'un élément décisif, a admis hier l'ambassadeur américain : «L'un des gros problèmes de la situation actuelle est que les principales communautés irakiennes ne sont pas d'accord sur l'avenir...»

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