Interview du Président Massoud Barzani au Monde

mis à jour le Vendredi 24 février 2017 à 17h54

lemonde.fr | Propos recueillis par Hélène Sallon et Marc Semo
 

Massoud Barzani : « Je ne me représenterai pas » à la présidence du Kurdistan irakien

Le président du gouvernement régional dit négocier avec Bagdad la gestion de Mossoul après la bataille contre l’organisation Etat islamique.

Le président du gouvernement régional du Kurdistan, Massoud Barzani, 70 ans, a rencontré mardi 21 février à Paris François Hollande, un « ami de longue date », afin de « le remercier avant son départ de l’Elysée » pour le soutien qu’il a apporté au Kurdistan irakien dans la bataille contre l’organisation Etat islamique (EI). Alors que la bataille pour la reconquête de l’ouest de Mossoul a débuté, M. Barzani revient sur ses enjeux pour la région autonome.

Etes-vous satisfait des progrès réalisés dans la bataille de Mossoul ? Y a-t-il un accord politique avec Bagdad sur la future gouvernance de la ville ?

La bataille progresse bien. Quand la rive droite sera libérée, ce sera un succès contre Daech [acronyme arabe de l’EI] mais ce ne sera pas la fin de l'idée du terrorisme. Au niveau politique, nous négocions avec Bagdad pour créer un haut comité pour la gestion de la ville qui soit représentatif. Il y avait avant l’arrivée de Daech 300000 Kurdes dans Mossoul, et les Kurdes sont en majorité dans la province de Ni-nive. Nous avons un accord de principe pour l’après-Mossoul et on est déjà bien représentés dans les instances de la province.

La bataille de Mossoul semble avoir favorisé de meilleures relations entre vous et les autorités de Bagdad...

Au niveau militaire, la coopération est bonne et surtout entre le premier ministre Haïder Al-Abadi et moi-même. Cette coopération va continuer car elle est nécessaire pour tout le monde. En revanche, sur tous les autres dossiers de contentieux avec Bagdad, comme le pétrole notamment, il n’y a aucune avancée.

Avez-vous trouvé un accord avec Bagdad sur le statut des territoires contestés qui ont été libérés par les forces kurdes ?

Il y a un accord sur les territoires que nous avons libérés avant le 17 octobre 2016 [avant le lancement de la bataille de Mossoul], Nous resterons dans ces zones. Dans les autres zones comme Ka-rakoch ou Bachika, il revient au peuple de décider. Si le peuple appelle à un référendum pour rejoindre le Kurdistan irakien, nous accueillerons cette demande avec plaisir.

Le ton est monté entre Bagdad et Ankara sur la présence, à votre invitation, de troupes turques dans le nord de l’Irak. Ces troupes sont-elles appelées à rester ?

Le premier ministre turc est allé à Bagdad et il y a eu un accord de principe pour résoudre cette question après la bataille. La présence de ces forces est provisoire. Elles doivent se retirer, la question est quand.

Etes-vous inquiet de l’implantation croissante du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), allié aux milices chiites ?

La clé du problème du PKK est en Turquie et non pas au Kurdistan irakien. Il faut trouver une solution politique au sein de ce pays au travers des négociations. Si les autorités turques nous le demandent, nous sommes prêts à aider à la reprise du processus de paix qui a été interrompu depuis bientôt deux ans. Mais cette demande doit venir d’Ankara. Quant aux milices chiites que vous évoquez, il y a une grande partie d’entre elles qui sont disciplinées, bien structurées et avec lesquelles nous n’avons aucun problème. Et il y a les autres qui créent des problèmes. Mais nous avons le même avenir dans cette région et nous devons donc trouver ensemble une solution.

Les ingérences de l’Iran vous préoccupent-elles ?

Nous avons de bonnes relations avec tous nos voisins, y compris l’Iran, mais nous ne voulons pas que les Iraniens décident à la place des Irakiens ou des Kurdes. Nous sommes opposés à cette influence iranienne croissante et au fait qu’elle puisse s’exercer au travers de tel ou tel parti. Les relations avec Téhéran sont bilatérales, avec le gouvernement régional du Kurdistan. Et nous n’acceptons pas que l’Iran interfère dans nos affaires intérieures.

Qu’est-ce qui freine un accord pour des élections, alors que votre mandat est terminé depuis bientôt deux ans ?

Il y aura des élections au mois de septembre, présidentielle et législatives. Après les élections parlementaires de 2014, il y avait eu un accord entre les partis pour une coalition, mais une partie d’entre eux ont créé des problèmes en poussant avant tout leurs propres intérêts. Le suffrage des électeurs est la meilleure solution pour savoir qui doit gouverner.

Allez-vous vous représenter ?

Notre loi prévoit un mandat présidentiel de quatre ans renouvelable une fois. J’ai déjà fait deux mandats et j’ai dû prolonger le second à cause de la guerre contre Daech. Le droit est ce qu’il y a de plus important, donc je ne me représenterai pas. Il y a dans notre parti beaucoup de possibles candidats, et des indépendants peuvent aussi demander les suffrages. Je veux pouvoir m’engager avec tout le temps dont je disposerai désormais pour le processus d’indépendance du Kurdistan irakien.

Qu’en est-il du référendum maintes fois annoncé sur l’indépendance ?

C’est un sujet très sérieux et nous l’organiserons, même s’il n’y a toujours pas de date fixée. L’accession à l’indépendance est un droit pour tous les peuples, y compris les Kurdes. La majorité de la population du Kurdistan irakien est pour cette solution.

Et si le Rojava - le Kurdistan syrien - demande l’indépendance, il aura votre soutien ?

Nous soutenons la cause kurde dans toutes les parties du Kurdistan, à condition qu’elle ne s’exprime pas par les armes et dans la violence. ■