Haut-Karabakh : l’UE s’inquiète des ingérences turques

mis à jour le Vendredi 2 octobre 2020 à 16h16

Lemonde.fr | Par Jean-Pierre Stroobants

Le dossier s’est soudain imposé au menu des discussions entre les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, jeudi 1er et mardi 2 octobre, à Bruxelles : les violents affrontements, au Haut-Karabakh, entre les forces séparatistes appuyées par l’Arménie et celles de l’Azerbaïdjan, soutenues par la Turquie, risquent de devenir un autre sujet de friction avec Ankara.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, venait de faire monter la tension en déclarant qu’un cessez-le-feu n’était envisageable que si les forces qui bénéficient du soutien d’Erevan se retiraient de la région disputée. Les autorités arméniennes accusent, elles, la Turquie d’être impliquée militairement dans le conflit. Elles se sont toutefois dit prêtes, vendredi, à discuter avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour rétablir un cessez-le-feu au Haut-Karabakh.

Face à une situation qu’ils décrivent comme « grave », les dirigeants européens appellent au cessez-le-feu au Haut-Karabakh et dénoncent toute « ingérence extérieure ». Le président Emmanuel Macron évoque « ceux qui parfois poussent telle ou telle partie à aller au-delà du raisonnable ». Dans ce nouveau sujet de contentieux, ils évitent toutefois de désigner trop clairement Ankara. « Bien sûr, le soupçon est lourd mais, avec la Méditerranée orientale, la Libye, la Syrie, la migration et la situation des libertés dans le pays, je crois que les sujets difficiles sont suffisamment nombreux… », soupire un diplomate bruxellois.

Avant cela, les dirigeants européens avaient prévu d’évoquer longuement leurs relations avec Ankara, mais dans le cadre de ce que le jargon diplomatique bruxellois décrit comme une « discussion de principe », destinée à définir une approche commune, sans opter à ce stade pour des sanctions en bonne et due forme. Ils devaient parler politique de voisinage, Méditerranée orientale et aussi Biélorussie, puisque les chemins tortueux de la prise de décision européenne avaient conduit à ce que ces deux dossiers soient liés.

« Au bord de l’absurde »

Chypre, pays membre, bloquait depuis des semaines un projet de sanctions contre des responsables biélorusses. Le président Nicos Anastasiades résistait aux pressions afin d’obtenir, en échange de la levée de son veto, une condamnation très ferme, voire des sanctions, contre les agissements de la Turquie, qui procède à l’exploration de réserves d’hydrocarbures dans les eaux territoriales de son pays.

Tout le monde semblait d’accord pour reconnaître le bien-fondé de la colère chypriote, mais « ce lien est sans justification », expliquait toutefois le premier ministre néerlandais Mark Rutte à son arrivée à ce sommet extraordinaire, centré, jeudi, sur les questions internationales et, vendredi, sur « l’autonomie stratégique » que l’Union devrait tenter de conquérir dans le domaine industriel, digital et géopolitique.

Dans l’immédiat, prisonnière d’une règle de l’unanimité risquant de remettre en cause sa crédibilité, l’Union européenne (UE) semblait plutôt « au bord de l’absurde », comme l’écrivait une agence de presse américaine. Elle a évité d’y basculer : après sept heures de difficiles palabres, les craintes de Chypre ont été vaincues et une quarantaine de dirigeants biélorusses, identifiés comme responsables de la violente répression des manifestations ou de la falsification de l’élection présidentielle du 9 août, pourront être sanctionnés. Le président réélu, Alexandre Loukachenko, dont l’UE ne reconnaît pas la légitimité, ne figure pas sur cette liste, entrée en vigueur vendredi : un « choix assumé », a expliqué Emmanuel Macron. Les Vingt-Sept demandent en effet au dictateur de libérer les prisonniers politiques et d’accepter une méditation de l’OSCE et « le sanctionner aurait marqué un refus de continuer à discuter », a commenté le président français.

« Une double approche »

Pas question, à ce stade, de sanctions, en revanche, à l’égard d’Ankara, même si « elles sont prêtes et peuvent être utilisées immédiatement », indiquait Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission. Les Vingt-Sept en reparleront en décembre. Dans l’immédiat, c’est « une double approche » qui est privilégiée. La Turquie est invitée à cesser ses activités dans les eaux territoriales de la Grèce et de Chypre, avec lesquelles la solidarité européenne n’est « pas négociable », et elle se voit proposer une relation « réellement constructive », selon la chancelière Angela Merkel. L’Allemagne est très réservée à l’égard de sanctions contre Ankara et veut privilégier le dialogue.

Si M. Erdogan accepte une négociation dans le cadre, par exemple, d’une conférence impliquant tous les acteurs de la région, il pourrait bénéficier d’une union douanière modernisée, de facilités commerciales ou d’une « poursuite de la coopération en matière de migration » – en clair, de plus d’argent. Certaines de ces promesses ont été souvent formulées. Ont-elles une chance d’être écoutées ? Jeudi, le président turc décrivait, dans un discours, l’Europe comme « inefficace, sans horizon et superficielle » mais se disait toujours ouvert à « maintenir les voies du dialogue » avec Bruxelles. Et, à l’OTAN, un accord entre la Grèce et la Turquie était trouvé, jeudi, sur un mécanisme destiné à éviter les conflits.

L’Alliance atlantique, comme l’UE, pourrait toutefois se voir très vite confrontée à un autre souci. M. Macron annonçait, jeudi soir, son intention d’interpeller l’OTAN et de lui demander de « regarder en face » les agissements du régime turc au Haut-Karabakh, où se trouveraient désormais quelque 300 combattants djihadistes arrivés de Syrie via le territoire turc. « Ils sont tracés, connus, identifiés », indiquait le président français, annonçant que « d’autres contingents se préparent ».

« Une ligne rouge est franchie, c’est inacceptable », poursuivait-il, disant son intention de téléphoner à M. Erdogan pour obtenir « des explications », en tant que coprésident du Groupe de Minsk, qui réunit aussi les Etats-Unis et la Russie. Les Européens tablent visiblement sur le soutien de cette dernière, qui pourrait s’inquiéter, soulignent-ils, pour sa propre sécurité avec la présence de combattants islamistes à ses portes. Il est à noter, en tout cas, que les Vingt-Sept ne se sont pas étendus sur l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny par un agent neurotoxique de la famille du Novitchok fin août, condamnant seulement l’usage d’armes chimiques et renvoyant la question de la relation avec Moscou au prochain sommet.