Femmes kurdes: «Nous voulons nos disparus, morts ou vivants»

mis à jour le Dimanche 8 mars 2009 à 16h52

Letemps.ch | samedi 7 mars 2009 | Turquie

Par Delphine Nerbollier, Istanbul
A l’image des mères de la place de Mai en Argentine, des familles se réunissent chaque samedi à İstambul et Diyarbakir pour demander la fin de l’impunité et la vérité sur les disparitions

En ce samedi de février, Hanim Tosun a défié la pluie et le froid pour venir manifester devant le lycée francophone Galatasaray, à Istanbul. Cette mère de cinq enfants, originaire d’un village kurde de l’est de la Turquie, brandit le portrait de son mari, Fehmi Tosun, disparu le 19 octobre 1995, en plein cœur d’Istanbul. «Avec mes enfants, j’ai assisté à son enlèvement par des policiers en civil. Ils l’ont fait entrer de force dans leur voiture. Nous ne l’avons jamais revu.»

«Nous voulons savoir»

Chaque samedi depuis un mois, une cinquantaine de mères, d’enfants, de frères viennent, comme Hanim Tosun, demander que la lumière soit faite sur la disparition de leurs proches. Selon l’Association des droits de l’homme (IHD), plus de 3000 personnes auraient disparu dans les années 1990 au plus fort de la «sale guerre» qu’a menée l’Etat turc contre les militants et sympathisants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

Fehmi Tosun était lui aussi un sympathisant du PKK. Avant de disparaître, ce père de famille a passé trois années et demie en prison pour soutien à une organisation terroriste. «Je n’ai aucun espoir que mon mari soit encore vivant, confie son épouse. Mais nous, les familles, nous n’abandonnerons jamais. Nous voulons savoir où sont les corps.» Cette femme de 42 ans est une habituée des sittings. Entre 1995 et 1999, elle n’en a pas raté un seul. «Depuis le début de ces actions, treize années sont passées. Se réunir à nouveau, au même endroit, avec les mêmes photos, est très difficile.»

L’Association des droits de l’homme a relancé ces rassemblements hebdomadaires depuis l’apparition de nouveaux éléments. Dans le cadre d’une enquête sur le démantèlement d’un réseau ultranationaliste, plusieurs personnalités soupçonnées d’avoir mené des actions contre les Kurdes, dans les années 1990, ont été arrêtées. Parmi elles, Veli Küçük, le chef du Jitem, ce service de renseignements de la gendarmerie, chargé de la contre-guérilla contre le PKK, mais aussi Levent Ersöz, un général de gendarmerie en poste à la frontière irakienne au moment de la disparition de deux politiciens kurdes. Par ailleurs, fin janvier, Abdulkadir Aygan, un ancien membre du PKK devenu informateur pour le Jitem, a révélé dans les colonnes du journal Taraf, avoir assisté à la mort d’une trentaine de personnes, lors de gardes à vue. «Je dirais que 80% des meurtres non résolus dans la région ont été menés par le Jitem», raconte-t-il.

Corps imbibés d’acide

Ce genre d’aveux a relancé l’espoir des familles d’obtenir, enfin, des informations et de voir les responsables condamnés. A Silopi, à la frontière irakienne, des recherches ont même débuté dans des puits appartenant à une entreprise publique, dans lesquels des corps imbibés d’acide auraient été jetés.

Toutefois, l’espoir des familles et des militants reste fragile. «Jusqu’où ira cette enquête», interroge Leman Yurtsever, qui regrette que les principales figures suspectées soient relâchées les unes après les autres. «Nous voulons nos disparus, morts ou vivants, mais malheureusement notre combat est encore long.»