Fawaz Hussain, un bel écrivain kurde francophone

mis à jour le Jeudi 7 juillet 2011 à 15h34

Lesoir-echos.com | Salim Jay

Fawaz Hussain, né au nord-Est de la Syrie dans une famille kurde raconte dans Le Fleuve (collection de poche Motifs, n°254) un destin de rescapé. Ce livre écrit en langue française parut pour la première fois en 1997 et rencontra un public plus nombreux à sa réédition en 2006.

Les chants désespérés séduisent-ils lorsqu’ils montent des profondeurs de la désolation ou bien faut-il qu’un zeste d’ironie souligne la liberté intérieure sauvegardée au-delà des désastres ? Fawaz Hussain réussit ce petit miracle de nous convaincre par l’émotion et l’humour, cette «politesse du désespoir». L’emphase est absente de son livre : le martyre subi par sa bourgade natale, Halabaja, au sud du Kurdistan, le 16 mars 1988, fut d’une telle ampleur que les survivants en demeurent stupéfaits. Ceux qui ne sont pas partis multiplient les conjectures au sujet de celui qui a disparu au loin, gagnant l’Europe.
De si beaux tapis étaient tissés à Halabaja ! «Les petites mains tissaient (…) des fauves dans des décors à la végétation luxuriante (…) Elles s’ingéniaient à embellir encore et encore le portrait des amoureux des épopées lyriques de Syamend et Khedjé, Ferhad et Shirine ou Men et Zin».

A des milliers de kilomètres, le narrateur pense à un pull-over tricoté par sa sœur aînée. Fawaz Hussein écrit : «Le monde entier me sépare de la chaleur du tricot de laine de ma sœur. Je me force à oublier les mauvaises surprises qui n’arrêtent pas de jalonner ma route et de se liguer contre moi. Je me dis que je n’ai pas le droit de m’avouer vaincu». C’est un combat contre le découragement qui est raconté avec, parfois, une verve proche du French Dream de Mohamed Hmoudane puisque Le Fleuve revient, comme il arrive dans le roman de Hmoudane, sur les illusions entretenues par ceux qui se disaient : «Nous serions heureux en Europe. Là bas, les belles blondes vont perdre la tête en voyant nos cheveux noirs, nos poitrines virile couvertes de poils !».

Hussain est assez franc avec lui-même pour se souvenir du paradoxe : «Nous étions imberbes, mais croyions qu’en Europe les belles blondes, aux yeux bleues ou verts, étaient prêtes à faire n’importe quoi pour se blottir dans nos bras».
La réalité ? Les femmes occidentales ne s’offrent pas au premier venu ! Et le héros d’assumer : «Je plaisais aux femmes trop mûres et aux grosses». Et il se décrit-lui ou le personnage si crédible qu’il met en scène? – comme un homme traqué, scindé, tourmenté.

En vérité, Hussain avait auparavant publié Prof dans une ZEP ordinaire (Le Serpent à plumes, 2006). Une ZEP étant une zone d’éducation prioritaire où les élèves en difficulté scolaire sont censés profiter d’une attention particulière.
Arrivé à Paris en 1978 pour poursuivre des études supérieures de lettres modernes à la Sorbone, il soutint une thèse de doctorat dix ans plus tard. Début 1993, il travailla à l’institut Français de Stockholm et enseigna à l’université de Lulea en Laponie. Depuis son retour en France en 2000, il est enseignant de français.

C’est donc un homme à la tête bien faite qui raconte dans Le Fleuve les angoisses d’un individu quelque peu paumé. Il montre, à travers le personnage qui s’exprime dans son roman, les dégâts que la faux de la violence exercée sur des populations innocentes provoque sur un individu en particulier, comment elle le défait, même s’il a pu échapper au massacre perpétré à Halabaja pour se faire soigner, grâce à l’action d’une organisation humanitaire.
«Ce gaz liquéfié, l’ypérite, entraîne des lésions des yeux et des pneumonies à répétition» expliquait-on dans le quotidien français Libération, le 2 avril 1988.

Le héros du Fleuve, ce fleuve desséché, fait partie «des 22 % de survivants contaminés, avec des séquelles désastreuses». Il reçoit des «soins ultracompliqués» dans une capitale européenne. Voici ce que donne telle de ses rencontres : «Avant de me voir dans l’hôpital, elle n’avait jamais entendu le nom de Halabaja. (…) Elle a cru que j’étais là pour soigner une grave maladie qui devait avoir pour nom quelque chose comme la kurdite. ( …) Elle a bafouillé en s’excusant : – Ca alors ! J’aurais juré qu’il s’agissait d’une maladie. Kurde, kurde, en plus ça fait penser aux cures».
On pouvait difficilement mieux signaler l’isolement dans la souffrance qu’en indiquant combien sa victime apparait étrange et étrangère à autrui.

Le Fleuve s’achève laconiquement sur une dépêche de l’Agence France Presse du 7 avril 1988 : «Un des six Kurdes soignés après avoir été brûlés lors d’une attaque aux armes chimiques contre la ville de Halabaja en Irak, perpétrée selon Téhéran, par le régime de Bagdad, est décédé mardi, ont annoncé les médecins traitants».
Il a fallu à Fawaz Hussain beaucoup d’intelligence du cœur pour réussir à communiquer la détresse kurde d’il y a près d’un quart de siècle en y mêlant un vrai sens poétique, un brin d’humour noir et une lucidité rêveuse.