Face au sort des Kurdes à Afrin, "Macron a la main qui tremble"

mis à jour le Mardi 27 mars 2018 à 18h43

Marianne.net | Bruno Rieth

Alors que les Kurdes de Syrie se retrouvent sous les feux de l'aviation turque, Patrice Franceschi, écrivain engagé auprès des Kurdes depuis le début de la guerre en Syrie, critique durement l'attitude d'Emmanuel Macron. "En ne soutenant pas les Kurdes, c’est la parole de la France dans le monde qui est fragilisée", dénonce-t-il.

Marianne : Afrine vient de tomber aux mains des groupes soutenus par la Turquie. Recep Erdogan, le président turc, affirme vouloir "lutter contre un potentiel terroriste menaçant la frontière turque" selon la formulation d’Emmanuel Macron. Est-ce crédible ?

Patrice Franceschi : Une précision d’abord, l’enclave d’Afrin n’est pas encore tombée mais la capitale qui porte le même nom. Les Kurdes ont pris la décision de se retirer pour éviter d’abord une destruction de leur ville - ils avaient connu ça avec Kobané - ainsi que pour épargner à la population de nombreuses pertes civiles. Les Kurdes ont été surpassés militairement par le pilonnage implacable de l’aviation turque, son artillerie à longue distance et par les nombreux chars d’assaut appuyés au sol par des groupes djihadistes constitués par des ex d’al Qaeda ou de Daech. Les Unités de protection du peuple (YPG) kurdes ont fait le choix de poursuivre le combat sous la forme de guérilla. C’est donc loin d’être fini.

Depuis cinq ans que j’accompagne la lutte des Kurdes en Syrie en me rendant régulièrement sur place, j’ai pu voir la propagande extraordinaire du régime turc qui accuse les YPG d’être des terroristes. C’est bien connu, quand on veut noyer son chien on l’accuse d’avoir la rage. Pourtant, pendant trois ans, la France a soutenu les Kurdes syriens dans leur combat contre Daech. Quand le président François Hollande a décidé, à la demande des Kurdes de Syrie, d’intervenir pour les soutenir à Kobané en 2014, entraînant avec eux les Américains puis la coalition anti-Daech qui les a soutenus jusqu’à la reprise de la ville de Raqqa, la France considérait les Kurdes comme ses alliés. Elle a même envoyé des troupes des forces spéciales au sol. Et aujourd’hui ils seraient des "terroristes" ? Ce n’est pas sérieux, sinon cela voudrait dire que la France s’est rendue complice de ces terroristes…

"La France a soutenu les Kurdes en 2014 et aujourd'hui ils seraient des 'terroristes' ?"

Pourquoi la France devrait-elle intervenir pour stopper l’opération lancée par la Turquie dans le nord de la Syrie ?

La Turquie a violé toutes les règles internationales en vigueur en envahissant la Syrie. Le président turc Recep Erdogan a notamment violé les règles d’engagement de l’OTAN, dont la Turquie est membre. Le président de la République Emmanuel Macron pourrait réclamer que l’OTAN sanctionne la Turquie, en demandant son exclusion jusqu’à ce qu’elle cesse cette invasion. La situation est particulièrement grave. Le régime turc est en train de réinstaller des groupes djihadistes à la frontière turco-syrienne.

Erdogan, en public, annonce à ses troupes - des ultra-nationalistes et des ultra-islamistes - qu’il ne s’arrêtera pas à Afrin mais que son objectif vise à un nettoyage ethnique de toute la région frontalière pour remplacer les Kurdes de Syrie par les djihadistes. Des groupes djihadistes qui, justement, avaient été expulsés par les Kurdes ces dernières années. Nous revenons à la case départ ! Dans quelques mois, ces groupes qui seront durablement installés et structurés pourront se réactiver en réseaux terroristes, et à terme, c’est bien la sécurité de la France qui est menacée. Le président de la République a tous ces éléments documentés en main mais, justement, il a la main qui tremble.

Quel message envoie le président Emmanuel Macron si, lorsque nos alliés ont besoin de nous, la France n’est même pas capable de leur venir en aide?

Effectivement, Emmanuel Macron ne semble pas vouloir agir dans ce sens pour le moment…

Le silence de la France est une triple erreur. Humanitaire d’abord : en deux mois, ces groupes liés à la Turquie ont commis de nombreux crimes de guerre. Ce n'est qu'un début. Et comme je l’ai dit, la régime turc se prépare à un véritable nettoyage ethnique contre les populations kurdes. Politique ensuite, puisque nous laissons des groupes qui n’ont rien à envier à Daech - certains de leurs éléments combattaient justement il y a encore peu dans les rangs de Daech - se réinstaller. Ce qui leur permettra de se structurer durablement. Ce qui fait peser une grave menace sur la France. Et enfin diplomatique. Quel message envoie le président Emmanuel Macron si, lorsque nos alliés ont besoin de nous, la France n’est même pas capable de leur venir en aide voire, a minima, de leur affirmer notre soutien dans un discours solennel ? Que vaut notre parole si nous abandonnons nos alliés lorsqu’ils en ont besoin ? En ne soutenant pas les Kurdes, c’est la parole de la France dans le monde qui est fragilisée en ce moment ! Surtout que la France est aujourd’hui engagée sur plusieurs fronts, notamment sahélien.

On a un peu trop vite annoncé la fin de Daech. Ce nouveau front en Syrie peut-il lui profiter ?

Effectivement, Daech n’a pas encore totalement disparu. Il reste encore des poches de résistance notamment parce qu’avec l’opération lancée par le régime turc, les Kurdes ont dû rapatrier leurs troupes vers Afrin. Ce qui permet aux combattants de Daech de reconstituer leurs forces.