Evénement - Irak : Un gouvernement cerne par la violence

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Par Christophe AYAD - lundi 22 mai 2006

Formé après cinq mois de tractations, le cabinet d'union nationale de Nouri Al-Maliki doit éviter à l'Irak une guerre civile déjà amorcée.

Le gouvernement de la dernière chance ou le dernier épisode de la descente aux enfers de l'Irak ? Après plus de cinq mois de négociations acharnées, le nouveau gouvernement irakien dirigé par Nouri al-Maliki a prêté serment samedi devant le Parlement au milieu des interruptions de séance, des vociférations et du départ de 17 députés sunnites mécontents.

Lorsqu'un député a demandé le comptage des votes, qui s'effectuaient à main levée, le président de l'Assemblée est passé outre en qualifiant cette requête de «peu pratique à mettre en oeuvre».

La nouvelle équipe censée éviter au pays une guerre civile, plus que larvée depuis la destruction du sanctuaire chiite de Samarra le 22 février, compte 36 hommes et femmes... mais pas de ministre de l'Intérieur ni de la Défense. Chiites, sunnites et Kurdes, tous représentés au gouvernement, ne sont pas parvenus à s'entendre sur le choix des titulaires de ces postes clés. L'absence de contrôle sur les organes de sécurité, infiltrés, de l'aveu même du ministre de l'Intérieur sortant, par des milices chiites, est l'une des causes de la non-reconduction à son poste du chef de gouvernement précédent, Ibrahim al-Jaafari. Lors de la première réunion de son gouvernement, hier, Nouri al-Maliki a indiqué qu'il pensait pourvoir ces deux ministères laissés vacants, ainsi que le secrétariat d'Etat à la sécurité nationale, «dans les deux ou trois jours».

Comme si cette avancée politique n'avait aucun effet sur la situation sécuritaire, les actes de violence n'ont pas faibli : 26 morts samedi, dont 19 ouvriers dans un attentat dans un quartier chiite de Bagdad, 20 dimanche, dont 13 dans un restaurant fréquenté par des policiers à Kerrada, un quartier de Bagdad ; pendant le week-end, 29 cadavres mutilés ont aussi été découverts dans le pays.

Malgré ce climat et les difficultés à mettre en place une équipe largement renouvelée, les Etats-Unis, l'Union européenne, la Ligue arabe et une bonne partie de la presse irakienne veulent y voir l'espoir d'un sursaut et d'une «union nationale» plus que chancelante. Pour la première fois en effet, toutes les composantes de la population irakienne sont représentées dans un gouvernement démocratiquement élu. Largement dominé par les chiites conservateurs de l'Alliance unifiée irakienne (19 ministères, dont le Pétrole, les Finances, l'Electricité et le Commerce), il compte aussi des représentants de la coalition kurde (7 portefeuilles, dont les Affaires étrangères), des sunnites (6 postes dont la Planification). Cinq ministères sont dévolus à la liste laïque de l'ex-Premier ministre de transition Iyad Allaoui. Pas moins de 80 % des députés siégeant au gouvernement sont représentés, fait-on remarquer à Washington, dont l'ambassadeur Zalmay Khalidzad s'est impliqué comme jamais dans les nominations afin d'intégrer la communauté sunnite au processus politique.

Avant son serment, Nouri al-Maliki a exposé les 34 points de son programme. Le défi est incommensurable, surtout au vu des difficultés à constituer une équipe cohérente. L'Irak est en effet en proie, non seulement à une rébellion, dont l'aile la plus dure est incarnée par le chef d'Al-Qaeda en Irak, Abou Moussab al-Zarqaoui, mais aussi à des violences intercommunautaires de grande ampleur qui ont entraîné des déplacements de population sans précédent. La production pétrolière et celle d'électricité ne sont pas revenues à leur niveau d'avant-guerre, alors que le pays était sous embargo international. La corruption, endémique sous les gouvernements Allaoui et Jaafari, n'a fait qu'attiser le ras-le-bol de la population. Maliki, dont le supérieur direct au sein du parti islamiste chiite Al-Dawa n'est autre que Jaafari, va devoir aussi gérer les travaux du comité de suivi constitutionnel censé trancher deux points laissés en suspens, aussi sensibles qu'essentiels : la place de l'islam dans la Constitution et le degré de fédéralisme qui doit régir l'Irak. Enfin, le procès de Saddam Hussein doit reprendre aujourd'hui. On avait failli l'oublier.

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