Erdogan et Trump en flagrant délire

mis à jour le Vendredi 2 février 2018 à 17h47

Le Canard enchaîné | Claude Angeli | mercredi 31 janvier 2018

Le Turc rêve d’éliminer des milliers de Kurdes, et l’Américain réfléchit à une autre guerre en Syrie.

Dimanche 28 janvier, huit jours après l’entrée de son armée en Syrie, Erdogan a voulu pousser plus loin son avantage. S’estimant aujourd’hui intouchable - il est à la fois l’allié des Etats-Unis au sein de l’Otan et l’ami de Poutine... -, le président turc a demandé à Trump de retirer les troupes américaines cantonnées dans la ville de Manbij. Et, devant les caméras, il a clamé qu’il entendait éliminer de cette ville, située au nord d’Alep, les forces kurdes des YPG, puis les traquer pendant 400 km, jusqu’à la frontière de l’Irak. Ce grand colérique ne doute de rien.

Voilà deux semaines, il s’en était même pris violemment à Donald Trump. Motif : le Pentagone venait d’annoncer la prochaine constitution d’une « force frontalière » de 30 000 hommes, composée en majorité de Kurdes syriens, pour assurer la sécurité de cette région. En plein délire, Erdogan s’était alors laissé aller : « L’Amérique a avoué qu’elle était en train de constituer une armée terroriste à notre frontière. » Et il avait aussitôt juré de réduire en bouillie ces 30 000 garde-frontières. Retrouvant ensuite son calme, le Grand Turc a lancé son offensive en Syrie, baptisée avec un certain culot « Rameau d’olivier ». Très vite, Washington, Paris et plusieurs Etats européens, tout en affirmant comprendre les « préoccupations sécuritaires » de la Turquie, ont alors incité Erdogan à la « retenue ».

Une formule qui prêterait à rire s’il ne s’agissait pas de massacrer ces Kurdes dont les mêmes Américains, Français et autres célébraient, encore récemment., la vaillance dans les combats contre Daech.

Frontière ouverte à Daech

Erdogan a toutes les raisons de se croire intouchable. Les dirigeants de l’ONU, de l’Otan et de l’Union européenne ont toujours évité de lui reprocher d’entretenir d’excellentes relations avec les terroristes de Daech et avec ceux d’Al-Qaida, comme « Le Canard » l’a mentionné à diverses reprises, depuis plusieurs années. Il n’est pas le seul. Le 15 mars 2016, « Le Figaro » écrivait : «Le royaume saoudien (...) est devenu, avec la Turquie d’Erdogan, le principal pourvoyeur d’armes et d’argent de la rébellion syrienne, laquelle est fracturée en une centaine de mouvements différents [dont] l’objectif final est d’imposer la charia sur le territoire syrien. »

Exemple des aimables rapports entre la Turquie et Daech durant les années pendant lesquelles l’organisation terroriste régnait à Mossoul, en Irak, et sur une partie de la Syrie : les exportations alimentaient le trésor de guerre des djihadistes. Pétrole, coton, phosphate et, parfois, objets d’art franchissaient allègrement la frontière turque, tout comme, dans l’autre sens, les candidats au djihad. Les services de renseignement alliés ont informé régulièrement Washington, Paris et Londres de ces invraisemblables compromissions avec le diable, mais les valeureux dirigeants de l’ONU, de l’Otan et les chefs d’Etat européens ont toujours regardé ailleurs. Le roi et les princes saoudiens, complices d’Erdogan et plus engagés que lui, car bien plus riches, ont bénéficié du même traitement de faveur. « Ce que d’aucuns appellent la “communauté internationale’’, s’insurge un diplomate, est un ramassis d’irresponsables, muets face au comportement de deux Etats voyous. »

A l’instar d’Erdogan, le président américain est aussi sujet à des bouffées délirantes. Ses réactions tonitruantes face au patron de la Corée du Nord avaient déjà inquiété son entourage, mais il s’était assez vite calmé. Or les attachés militaires français en poste à Washington ont constaté que les délires présidentiels étaient contagieux.

Ces officiers ont eu accès à un document du Pentagone titré « Nouvelle stratégie de la sécurité nationale », mais en version très expurgée. Malgré toutes ces précautions, ils ont découvert, et transmis à Paris, certains extraits fort inquiétants. Les 2 000 membres des forces spéciales US, par exemple, « sont maintenus en permanence au nord et au sud de la Syrie pour empêcher l’Iran d’accéder à la Méditerranée et aux champs pétrolifères du Nord ». Plus réjouissant encore : « Une réserve de 125 000 hommes est constituée (aux Etats-Unis) pour reprendre les zones stratégiques où il faudrait neutraliser les alliés de Téhéran que sont les chiites irakiens, le Hezbollah et les loyalistes syriens. »

En clair, l’Iran est dans la ligne de mire de Trump, lequel réfléchit à une nouvelle guerre en Syrie. Macron le sait, désormais, et la France pourra y être impliquée, si ce délire se poursuit.