En Turquie, les "indépendants" pro-kurdes espèrent faire leur entrée au Parlement


19.07.07 | SIRNAK ENVOYÉ SPÉCIAL

ux points de contrôle qui quadrillent la plaine de Sirnak, les candidats doivent montrer patte blanche pour aller à la rencontre de leurs électeurs. La campagne pour le scrutin du 22 juillet se tient dans une ambiance pesante : les trois provinces du sud-est de la Turquie, à majorité kurde, ont été placées sous "mesures exceptionnelles de sécurité" par l'armée jusqu'au 9 septembre.

Certaines zones sont interdites d'accès pour cause d'opérations militaires. "En dehors des centres-villes, tout est plus ou moins interdit", constate Ahmet Ertak, maire de Sirnak et membre du Parti pour une société démocratique (DTP), parti pro-kurde considéré par Ankara comme la vitrine légale du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatiste). "Par exemple, les villages autour de Beytüssebap sont très difficiles d'accès", montre-t-il sur une carte. Son parti dénonce ces "élections sous état d'urgence".

Candidate du DTP à Sirnak, Savahir Bayindir craint des fraudes massives dans les villages contrôlés par l'armée. "C'est déjà arrivé par le passé. C'est un moyen pour les militaires d'empêcher les Kurdes de s'organiser. Ce n'est pas un hasard si ces opérations interviennent en pleine campagne électorale", estime-t-elle. Dans la zone de Güclükonak, théâtre d'opérations de l'armée contre les rebelles kurdes, le candidat Hasip Kaplan dénonce "des pressions des militaires dans les bidonvilles pour empêcher les gens de voter pour les candidats indépendants". Car pour ces élections législatives, les candidats du DTP se présentent en "indépendants". Une tactique destinée à contourner le barrage de 10 % des voix, nécessaire à une formation pour entrer au Parlement. Il y a cinq ans, malgré des scores élevés localement, le parti n'avait obtenu que 6,2 % au niveau national. Les candidats pro-kurdes espèrent cette fois former un groupe d'une trentaine de députés et peser dans la future Assemblée. Leur leader, Nurettin Demirtas, a même revendiqué, dimanche, quatre postes ministériels si son parti formait une coalition avec l'AKP de Recep Tayyip Erdogan. Une éventualité que l'actuel premier ministre rejette catégoriquement.

NOUVELLES RÈGLES

Pour mobiliser leurs électeurs habitués à l'étiquette partisane, les "indépendants" pro-kurdes ont envoyé leurs militants battre le rappel. Cette année, les noms de tous les candidats "indépendants" seront regroupés sur un même bulletin. Un procédé que le DTP estime destiné à semer la confusion parmi ses sympathisants. Dans les faubourgs d'Istanbul, peuplés de nombreux immigrés kurdes, le taux d'illettrisme élevé est un obstacle de plus. Des dizaines d'étudiants ont donc été envoyés pour faire du porte-à-porte et expliquer ces nouvelles règles.

Dans le Sud-Est, la campagne législative reste cantonnée aux centres-villes, sillonnés par les caravanes publicitaires. Mais dans ces régions où subsiste un système tribal ancestral, les asiret, le plus important est de rallier les chefs de clans. Abdurrhaman Keskin est l'un de ces notables tribaux. A Hakkari, il aura la haute main sur plusieurs milliers de votes. Ecarté de la candidature par le Parti démocrate (DP, centre droit), il va appeler à voter pour le Parti républicain du peuple (CHP, gauche nationaliste), malgré le soutien de ce parti à une intervention de l'armée contre les rebelles kurdes réfugiés en Irak.

"Si notre chef estime qu'il faut donner nos voix au CHP, nous le ferons", approuve Lezgin, un instituteur. "Moi je voterai quand même pour le DTP", maugrée son voisin. Le clan des Dotski, lui, restera fidèle à Esat Canan, qui a quitté le CHP pour se présenter en "indépendant". Le vote dans ces zones kurdes obéit souvent plus à des solidarités claniques ou familiales qu'à des convictions personnelles. Chez un marchand de miel de Hakkari, Mehmet, fonctionnaire, assure qu'il votera pour l'AKP (Parti de la justice et du développement), parce que son oncle est candidat, mais qu'il soutient quand même le DTP