En Turquie, le procès d'Orhan Pamuk reporté au mois de février

Info - LE MONDE [16 décembre 2005]
ISTANBUL CORRESPONDANCE

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endredi 16 décembre devait s'ouvrir, à Istanbul, le procès du romancier Orhan Pamuk, auteur de Neige (Gallimard, 2005) et récompensé par plusieurs prix littéraires cette année. [Mais le procès a été reporté au 7 février à l'issue d'une brève audition préliminaire et dans l'attente d'une autorisation du ministère de la justice pour poursuivre la procédure. ]
M. Pamuk est accusé d'"insulte à l'identité nationale turque" pour avoir déclaré, en février, dans un entretien à l'hebdomadaire suisse Das Magazin, que "sur ces terres, un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués". Ces propos lui font encourir de six mois à trois ans de prison.

Face à ses accusateurs, l'écrivain, qui avait refusé en 1998 le statut d'artiste d'Etat, n'est pas décidé à renier ses propos. Volontiers provocateur, se plaisant dans un rôle d'ambassadeur des libertés, il s'est montré offensif. "Le gouvernement turc a peur de se dresser face à la vieille garde nationaliste", a-t-il affirmé.

Ce procès est symbolique d'une liberté d'expression sévèrement encadrée. Le commissaire européen à l'élargissement, Olli Rehn, a averti que "ce n'est pas Orhan Pamuk qui est jugé mais la Turquie". Et d'autres procédures, au titre de l'article 301 du nouveau code pénal, visent actuellement de nombreux éditorialistes, journalistes ou éditeurs.

Mais derrière l'affaire médiatique se joue un bras de fer politique. Le gouvernement dirigé par le Parti de la justice et du développement (AKP) est pressé par l'Union européenne de confirmer son engagement démocratique. Il se heurte à des résistances de partis nationalistes, de l'armée et de l'administration : "l'Etat profond", selon l'expression consacrée en Turquie.

Et, en dépit d'un indéniable progrès de la liberté d'expression, qui a permis la tenue, en septembre, d'une conférence universitaire sur la question arménienne, les tabous ont la peau dure. Notamment les questions sensibles du génocide arménien, de l'occupation de Chypre et du problème kurde. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, s'est voulu rassurant : "Le résultat pourrait bien être un acquittement", a-t-il anticipé il y a une semaine.


Guillaume Perrier

Pamuk chahuté au tribunal

Ohran Pamuk a été pris à partie, vendredi, au tribunal d'Istanbul par une foule de manifestants d'extrême droite parvenus à s'introduire jusqu'à la porte de la salle d'audience, et accusant le prévenu d'être un "traître à la nation" turque. Une femme a frappé M. Pamuk à la tête avec un dossier quand celui-ci se dirigeait vers le tribunal. A la sortie de l'audience, des manifestants ont tenté d'empêcher la voiture de M. Pamuk de partir et ont lancé des oeufs contre le véhicule.

Article paru dans l'édition du 17.12.05