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Le Parti des travailleurs du Kurdistan a décidé de déposer les armes, à l’appel de son leader historique, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis vingt-six ans sur l’île-prison d’Imrali, au large d’Istanbul.
Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a prononcé sa dissolution, lundi 12 mai, et a décidé de mettre un terme à des décennies de combats fratricides qui ont fait près de 40 000 morts en Turquie, selon une déclaration mise en ligne par l’agence prokurde ANF, proche du parti armé. « La lutte du PKK a fait tomber la politique de déni et d’annihilation de notre peuple, amené la question kurde à un point où elle peut se résoudre à travers des politiques démocratiques, et, à cet égard, a clos la mission historique du PKK », peut-on lire.
Cette décision intervient à l’issue d’un congrès qui s’est tenu du 5 au 7 mai dans « les zones de défense Media », terme utilisé par le mouvement pour désigner les montagnes de Qandil, dans le nord de l’Irak, où se trouvent le commandement militaire du PKK et ses combattants. Celui-ci a eu lieu à l’appel « du leader Abdullah Öcalan », selon l’ANF. Le 27 février, le leader historique du PKK, Abdullah Öcalan, « Apo » (« oncle », en kurde) pour ses partisans, avait appelé son mouvement à déposer les armes et à se dissoudre.
Le parti au pouvoir, l’AKP, a salué « une étape importante vers l’objectif d’une Turquie débarrassée du terrorisme ». « Cette décision doit être mise en pratique et réalisée dans toutes ses dimensions », a insisté Ömer Çelik, porte-parole du parti. « La fermeture de toutes les branches et extensions du PKK et de ses structures illégales constituera un tournant. » Les modalités pratiques de cette décision restent toutefois à définir.
Le ministre des affaires étrangères turc, Hakan Fidan, a salué, lui, « une étape historique et encourageante », qui « nous rend très fiers de notre pays ». « Je considère cette décision comme très importante, pour la paix et la stabilité permanentes dans notre région », a insisté le ministre devant la presse. « Bien sûr, il faudra prendre des mesures pratiques et nous les suivrons de près », a-t-il assuré. La Commission européenne, elle, a appelé toutes les parties à « saisir l’occasion » pour œuvrer à la paix, estimant que « le lancement d’un processus de paix crédible, visant à trouver une solution politique à la question kurde, constituerait une étape positive pour parvenir à une solution pacifique et durable ».
Le président de la région autonome du Kurdistan irakien, Nechirvan Barzani, a salué, de son côté, cette décision du PKK, qui « démontre une maturité politique et ouvre la voie à un dialogue favorisant la coexistence et la stabilité en Turquie et dans la région. Elle « jette les bases d’une paix durable qui mettrait fin à des décennies de violence, de douleur et de souffrance », a-t-il ajouté. Le ministre des affaires étrangères syrien, Assad Hassan Al-Chibani, a félicité la Turquie pour « l’accord », saluant un « moment charnière » pour la stabilité de la région.
Le leader du PKK est détenu à l’isolement depuis vingt-six ans. A 76 ans, il est peu probable qu’il quitte l’île-prison d’Imrali, au large d’Istanbul, mais il devrait voir ses conditions de détention être assouplies, selon un responsable du parti au pouvoir, l’AKP, cité par le quotidien progouvernemental Türkiye. « Les conditions de détention seront assouplies (…). Les rencontres avec le [parti prokurde] DEM et la famille seront également plus fréquentes », selon ce responsable, qui affirme qu’« Öcalan lui-même a déclaré ne pas vouloir quitter Imrali ». « Il sait qu’il aura un problème de sécurité lorsqu’il sortira », ajoutait-il.
Le PKK a souligné lundi que sa dissolution « fourni[ssait] une base solide pour une paix durable et une solution démocratique », et en appelle au Parlement turc. « A ce stade, il est important que la Grande Assemblée (…) joue son rôle avec responsabilité face à l’histoire », selon sa déclaration. L’appel à la dissolution du leader du PKK faisait suite à une médiation lancée à l’automne par un allié du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, le nationaliste Devlet Bahceli, par le canal du parti prokurde DEM. Le PKK y avait répondu favorablement le 1er mars, annonçant un cessez-le-feu immédiat avec les forces turques.
L’Irak avait exigé en mars un retrait total de son territoire de l’armée turque et des combattants du PKK en cas d’accord de paix. De leur côté, les combattants kurdes au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), dans le nord-est de la Syrie, s’étaient dits « pas concernés » par l’appel du PKK à désarmer.
Après avoir salué une « opportunité historique » de paix avec « nos frères kurdes » à la suite à l’appel de M. Öcalan, le président Erdogan avait juré de poursuivre les opérations armées contre le PKK « si [ses] promesses n’étaient pas tenues ». Resté en retrait pendant toute la durée du processus, le chef de l’Etat a laissé son allié, M. Bahçeli, en première ligne. Mais pour Gönul Tol, directrice du programme Turquie au Middle East Institute, jointe par l’Agence France-Presse (AFP), « le principal moteur [de ce processus] a toujours été la consolidation du pouvoir d’Erdogan ». Selon elle, le chef de l’Etat pourra ainsi se présenter aux élections de 2028 renforcé face à une opposition divisée.
La chercheuse rappelle que la population kurde ne s’est pas jointe aux manifestations de l’opposition, en mars, pour dénoncer l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, pas plus qu’au rassemblement du parti, samedi, à Van, ville à forte population kurde. M. Imamoglu, incarcéré depuis le 23 mars, est le candidat officiel du CHP, premier parti d’opposition, pour l’élection présidentielle de 2028. Pour elle, « le manque de participation kurde à ce rassemblement montre que la stratégie d’Erdogan, qui consiste à diviser pour mieux régner, fonctionne ». Elle affirme que le chef de l’Etat « a toujours cherché à creuser un fossé entre le parti prokurde et le reste de l’opposition. Et c’est exactement ce qui est en train de se produire ».
Selon certaines estimations, la population kurde représenterait 20 % des 85 millions d’habitants de la Turquie.