En Syrie, Erdogan frappe les Kurdes et balade les Occidentaux

mis à jour le Vendredi 11 octobre 2019 à 16h14

Libération |10 octobre 2019 | Par Hala Kodmani
 
En Syrie, Erdogan frappe les Kurdes et balade les Occidentaux
Lancée mercredi, l’opération turque a déjà fait des dizaines de morts et plus de 60 000 déplacés. La communauté internationale reste impuissante malgré ses critiques.

Ecrit depuis des mois, le scénario se déroule aussi mal que prévu. Au lendemain du déclenchement de l’offensive turque contre le nord-est de la Syrie contrôlé par les milices kurdes du YPG, branche syrienne du PKK, les conséquences humaines, politiques et diplomatiques désastreuses se confirment. Sur le terrain, les frappes aériennes et les tirs d’artillerie de l’armée turque ont fait une trentaine de morts mercredi, dont un tiers de civils. L’assaut terrestre des troupes turques sur le territoire syrien, lancé dans la soirée, a donné lieu à de violents affrontements dans les zones de Ras al-Aïn et Tal Abyad, toutes deux évacuées dimanche par les soldats américains. Le ministère turc de la Défense a affirmé que l’opération avait été «menée avec succès durant la nuit, dans les airs et au sol».

Les forces turques ont conquis sept villages près de Ras al-Aïn et de Tal Abyad, d’après l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), qui rapporte des raids aériens turcs. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé que 109 «terroristes», comme il désigne les combattants kurdes, avaient été tués, blessés ou capturés. Un chiffre démenti par les Forces démocratiques syriennes (FDS), regroupement - dominé par milices du YPG - des combattants qui avaient mené les batailles contre l’Etat islamique. La communication de guerre mise en place par chacun des belligérants appelle à prendre leurs informations avec une grande réserve. Ainsi, selon les rebelles de l’Armée nationale syrienne, supplétifs de la Turquie, les FDS n’auraient pas opposé de grande résistance à l’avancée des troupes turques. Les FDS affirment au contraire avoir réussi à repousser une tentative d’incursion «des troupes ennemies» dans la région de Tal Abyad. Plusieurs villes turques frontalières de la zone investie ont été la cible de roquettes et d’obus tirés par les forces kurdes depuis le territoire syrien. Au moins six civils, dont deux enfants, ont été tués et plus de 70 blessés jeudi par des projectiles.

«Désastre». Sur le plan humanitaire, plus de 60 000 personnes ont été déplacées, fuyant les secteurs frontaliers avec la Turquie, a indiqué l’OSDH. Qui précise que ces déplacés se dirigeaient plus à l’est, notamment vers la ville de Hassaké. «Une offensive militaire pourrait déplacer 300 000 personnes», a mis en garde le Comité international de Secours (IRC), une ONG intervenant dans la région. «Un désastre humanitaire est imminent», a averti de son côté Save the Children.

A l’international, l’offensive turque a été quasi unanimement condamnée, y compris par la majorité des pays arabes et par l’Iran, qui a appelé à sa «cessation immédiate». Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni jeudi à la demande de ses membres européens, dont la France. A Paris, l’ambassadeur de Turquie a été convoqué au ministère des Affaires étrangères peu après qu’Emmanuel Macron a exprimé ses craintes d’une résurgence de l’EI du fait de l’attaque turque. «Que tout le monde soit rassuré : Daech ne ressurgira pas dans les zones que la Turquie contrôlera», a affirmé Erdogan. Il a démenti viser les Kurdes en général, affirmant que les YPG étaient l’unique cible de l’offensive.

«Tirs d’artillerie». Sur le sort des prisonniers jihadistes détenus par les forces kurdes, thème qui inquiète les pays occidentaux, Erdogan s’est montré rassurant : «Nous ferons ce qui est nécessaire. Ceux qui doivent rester en prison, nous les y maintiendrons, et nous renverrons les autres dans leur pays d’origine, si ces derniers les acceptent.» De leur côté, les FDS ont accusé le régime turc d’avoir visé mercredi soir «une partie de la prison de Jarkine à Qamichli, où se trouvent un grand nombre de terroristes de l’EI». «Cette prison abrite les plus dangereux criminels originaires de plus de 60 pays», ont indiqué les autorités kurdes sans fournir de détails sur les dégâts. L’OSDH a indiqué que «des tirs d’artillerie» d’Ankara n’avaient visé que «les environs» de la prison. Sans attendre toutefois, les Etats-Unis ont récupéré deux pointures jihadistes détenues par les FDS pour les placer sous le contrôle de l’armée américaine. Enfin, le chantage aux migrants a très vite été brandi jeudi par Erdogan : «Ô Union européenne, reprenez-vous. Je le dis encore une fois, si vous essayez de présenter notre opération comme une invasion, nous ouvrirons les portes et vous enverrons 3,6 millions de migrants.»

Une menace qui illustre l’impuissance des Européens face à la Turquie, malgré leur volonté sincère de protéger leurs alliés kurdes. La fin du califat avait été proclamée par les forces kurdes dans l’Est syrien, il y a six mois. Un temps qui semble aujourd’hui bien lointain.