En Iran, des exécutions publiques pour terroriser les manifestants et mater la révolte

mis à jour le Vendredi 16 decembre 2022 à 18h22

Lemonde.fr | Par Ghazal Golshiri

Deux hommes ont été pendus, onze personnes sont dans le couloir de la mort ; les manifestations ont cessé.

 

Ces jours-ci, nombre d’Iraniens se réveillent, effrayés, pour vérifier si de nouvelles exécutions ont eu lieu. En Iran, elles sont organisées lors de la prière du matin, un peu avant la levée du soleil. Aux premières heures du jour, Mohsen Shekari et Majidreza Rahnavard, âgés de 23 ans, ont été pendus, respectivement le 8 et le 12 décembre. Ils faisaient partie des milliers de manifestants qui sont descendus dans les rues du pays après la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre, à l’issue de sa garde à vue pour son voile jugé « mal porté ».

Le premier a été exécuté dans la prison de Gohardacht, à 30 kilomètres de Téhéran, à l’abri des regards. Majidreza Rahnavard, lui, a été tué sur une place publique dans sa ville natale, Machhad, dans l’est du pays. Aucune communication officielle n’a annoncé son exécution, et il semble que la population locale n’ait pas été informée. Pourtant, selon les photos publiées par les agences officielles iraniennes, plusieurs dizaines de personnes étaient présentes lors de la pendaison.

On y voit des femmes portant le tchador, le vêtement qui couvre tout le corps, tenue des femmes les plus religieuses et fidèles au régime. Tous les visages sont floutés. Compte tenu de l’heure très matinale de la pendaison, il semble que les autorités locales aient invité, par le biais de leurs réseaux, les partisans de la République islamique d’Iran à se déplacer pour assister à la pendaison. Sur l’un des clichés, le corps inanimé de Majidreza Rahnavard est accroché à un poteau, ses yeux bandés.

Aucun des deux hommes, condamnés pour « inimitié à l’égard de Dieu », n’a eu accès à l’avocat de son choix. Mohsen Shekari a été tué dix-huit jours après sa condamnation en première instance alors que, selon le code pénal iranien, les condamnés disposent de vingt jours pour faire appel. Majidreza Rahnavard, lui, a été exécuté sept jours avant la fin de ce délai.

Quelques heures après les pendaisons, la télévision nationale a diffusé les aveux des deux hommes pour justifier la sévérité du pouvoir judiciaire. Mohsen Shekari est apparu, face caméra : sa joue droite portait les traces d’une blessure, preuve pour certains Iraniens que l’homme a été torturé et que les autorités ne cherchent plus à dissimuler les mauvais traitements qu’elles réservent aux prisonniers. Majidreza Rahnavard a, lui, été filmé les yeux bandés et son bras gauche plâtré, alors qu’il confessait avoir tué deux membres des bassidji, les milices paramilitaires attachées aux gardiens de la révolution (l’armée idéologique du pays). Selon les organisations des droits humains et des anciens prisonniers politiques, la République islamique d’Iran a régulièrement recours à la torture pour obtenir des aveux de la part des détenus.

Mohsen Shekari et Majidreza Rahnavard ont été enterrés à l’insu de leurs familles. Ces dernières n’avaient pas été informées de la confirmation de la peine capitale pour leurs enfants. Il a été reproché aux deux hommes d’avoir pris « les armes avec l’intention d’enlever la vie, les biens ou l’honneur de personnes afin de susciter la peur ou créer un climat d’insécurité ». Ce chef d’accusation, particulièrement vague, permet aux juges de prononcer des peines très lourdes. Lors des procès de Mohsen Shekari et de Majidreza Rahnavard, aucun élément n’a été dévoilé pour étayer cette accusation. Depuis leur pendaison, des avocats, des spécialistes du droit et des membres du clergé, y compris à l’intérieur du pays, émettent des doutes quant au caractère équitable du procès des deux Iraniens et de la sentence prononcée contre eux.

Emoi parmi la population

Ces exécutions ont suscité l’émoi parmi les Iraniens installés à l’étranger, mais aussi à l’intérieur du pays. Depuis, le nom et la photo d’autres manifestants risquant la pendaison circulent sur les réseaux sociaux. Selon des groupes de défense des droits humains, les tribunaux révolutionnaires de première instance ont d’ores et déjà prononcé au moins 11 autres condamnations à mort liées à des manifestations. Ceux qui attendent dans les couloirs de la mort s’appellent, entre autres, Mohammad Ghobadlou, Saman (Yasin) Seidi et Sahand Nour Mohammadzadeh.

Ce dernier, âgé de 26 ans, a été arrêté lors d’une manifestation à Téhéran en octobre. Début décembre, il a été condamné à mort pour avoir incendié une poubelle et avoir déplacé une glissière de sécurité. Dans un enregistrement, sorti de la prison de Fashafouyeh – située dans le sud de Téhéran, où le jeune homme est détenu –, il rejette le chef d’accusation retenu contre lui, soit « inimitié à l’égard de Dieu ». Il explique avoir été obligé de se déclarer coupable, à cause des pressions qu’il subit depuis sa détention.

Sahand Nour Mohammadzadeh est loin d’être un cas isolé. Dans les prochains jours, et alors que les manifestations de rue se sont pour le moment arrêtées, les tribunaux révolutionnaires devraient juger au moins 37 personnes, dont quatre enfants, pour des accusations pouvant entraîner la peine de mort. Outre « l’inimitié à l’égard de Dieu », deux autres charges sont régulièrement retenues contre les manifestants : « la corruption sur terre » (« Ifsad fil arz ») et « la rébellion armée » (« Baghi ») contre la République islamique d’Iran.

« Ce qui est nouveau en Iran depuis le 16 septembre c’est l’utilisation très répandue des charges comme “inimitié à l’égard de Dieu” pour des actes comme celui de barrer les routes ou d’incendier les bâtiments, alors que, par le passé, elles ont été utilisées pour des crimes capitaux comme l’assassinat, explique la chercheuse spécialiste de l’Iran à Human Rights Watch (HRW) Tara Sepehri Far. La précipitation systématique que nous observons dans le déroulement des procès et dans l’application des pendaisons ainsi que la sévérité des condamnations de manière générale révèlent la volonté de la justice iranienne de susciter la terreur dans le pays après les manifestations. »

Selon les informations avancées par la justice iranienne, à Téhéran seulement, 160 citoyens ont été condamnés à de lourdes peines de prison, allant de cinq ans à dix ans, et 240 à une peine de prison de deux ans à cinq ans. Aucun chiffre n’a encore été donné pour tout le pays.

Cinq minutes de procès

Samira (un pseudonyme utilisé pour protéger l’intéressée des représailles), arrêtée en octobre pour avoir manifesté, a été condamnée en première instance à six ans d’emprisonnement, ainsi qu’à deux ans d’interdiction de quitter le territoire iranien et d’utiliser les réseaux sociaux. Les chefs d’accusation retenus contre cette Iranienne d’une trentaine d’années : « rassemblements en vue de déstabiliser le pays » et « propagande » contre le régime.

Son procès, qui s’est tenu début décembre à Téhéran, n’a duré que cinq minutes. « Ils n’ont même pas laissé entrer mon avocat, explique la jeune femme qui a passé presque deux mois en prison, avant d’être remise en liberté sous caution. Je n’ai pas eu non plus la possibilité de me défendre devant le juge. » Sa condamnation est tombée deux jours après sa première et unique comparution devant le juge. Samira envisage de faire appel, sans grand espoir. « Je suis toujours sous le choc », glisse-t-elle.

Les avocats indépendants qui acceptent de représenter les Iraniens accusés des charges politiques risquent, eux aussi, l’emprisonnement. Depuis le 16 septembre, au moins 39 d’entre eux ont été arrêtés. La dernière interpellation en date, le 14 décembre, concerne Mohammad Ali Kamfirouzi. L’homme représente de nombreux détenus politiques, notamment les deux journalistes iraniennes, Niloufar Hamedi et Elaheh Mohammadi, qui avaient joué un rôle important dans la médiatisation de la mort de Mahsa Amini.