En Irak, la poudrière de Kirkouk se cherche un avenir

mis à jour le Samedi 13 mars 2010 à 13h32

Lemonde.fr | Guillaume Perrier

L'organisation sans violences des élections législatives dans la cité pétrolière de Kirkouk, en Irak, méritait bien quelques rafales de kalachnikov vers le ciel. Sitôt le vote clos, des coups de feu ont claqué dans la nuit du 7 mars, pour célébrer le scrutin. En 2009, les élections provinciales y avaient été annulées, faute d'accord entre les différentes communautés de la cité mésopotamienne, où une majorité de Kurdes côtoie des Arabes sunnites, une minorité turkmène et des chrétiens. Depuis 2003 et la chute du régime baassiste, la poudrière de Kirkouk demeure un point sensible du pays, dans l'attente d'une solution sur son statut.

"Cela fait sept ans que nous sommes dans une position compliquée mais nous ne voyons aucun espoir, lâche Imad Yaqo, responsable local du parti assyrien, en hochant la tête. Chaque gouvernement élu prétend vouloir résoudre le problème mais ne fait rien. Et les erreurs des Américains aggravent encore plus la situation."

Les grands partis kurdes, arrivés en tête des élections selon les premiers résultats, caressent plus que jamais l'espoir d'annexer la province pour la rattacher à la région autonome du Kurdistan. Ce qu'Arabes et Turkmènes refusent catégoriquement. "Cette élection va influer sur le sort de Kirkouk", estimait, dimanche 7 mars, le Kurde Hoshiyar Zebari, ministre des affaires étrangères irakien, à la sortie de son bureau de vote d'Erbil. La Constitution irakienne de 2005 prévoit un référendum d'autodétermination pour Kirkouk, l'un des territoires disputés entre la région kurde et le gouvernement central de Bagdad.

Mais, repoussée sans cesse, faute d'un recensement fiable de la population, la perspective d'une consultation populaire paraît désormais s'éloigner, selon Joost Hiltermann, spécialiste de l'Irak pour l'International Crisis Group. Un recensement national est prévu pour octobre. Mais les Nations unies et les Etats-Unis privilégient plutôt un statut sur mesure pour Kirkouk, afin d'éviter un embrasement interethnique.

Pourtant, dans le bâtiment délabré du gouvernorat, les représentants kurdes n'en démordent pas. "C'est la loi, ce référendum doit avoir lieu. Il faut respecter le vote de la majorité", maintient Iwan Zangana, une élue de l'Union islamique du Kurdistan. "C'est une opinion kurde, sourit un Turkmène chiite élu sur la liste de l'Alliance de l'Etat de droit, du premier ministre, Nouri Al-Maliki. Personne ne peut rien décider par la force."

Les populations minoritaires accusent les partis kurdes d'avoir modifié la démographie de la ville à leur avantage, depuis 2003, pour s'assurer d'une majorité en cas de vote. Des dizaines de milliers de réfugiés, chassés par Saddam Hussein, sont revenus s'installer plus nombreux après la chute du régime, s'entassant dans des bâtiments publics ou dans des maisonnettes de terre, le long des champs de pétrole et autour du stade. La haute commission électorale irakienne a estimé à 50 000 le nombre d'électeurs inscrits dans les deux semaines qui ont précédé le scrutin. De forts soupçons de fraude pèsent sur cette élection.

Les réfugiés kurdes et arabes, se croisent au gouvernorat, dans les bureaux de la commission de l'article 140 de la Constitution irakienne. "Depuis 2007, environ 36 000 familles kurdes sont revenues et 12 000 Arabes ont bénéficié de notre aide pour partir", explique le directeur Tahsin Kahya. Mais il en reste au moins le double à traiter. "La vitesse de notre travail dépend du budget qui nous est alloué par le gouvernement : en ce moment nous avons 150 millions d'euros par an." Chaque famille de wafidin, les Arabes installés par Saddam Hussein dans les années 1980, reçoit 20 millions de dinars (12 900 euros) pour quitter la ville. Les Kurdes moitié moins pour revenir.

Mais l'imbroglio démographique menace la sécurité et jette une ombre sur le retrait des troupes américaines, qui doit être achevé d'ici à la fin de l'année 2011. Depuis 2005, la paralysie des institutions locales a laissé le champ libre aux groupes insurgés, solidement enracinés dans les quartiers sud de la ville. "Dans ces zones, nous combattons Al-Qaida, Ansar al-Sunna ou l'Etat islamique d'Irak", détaille le général Sarhad Qadir, commandant provincial de la police irakienne et maître de la cité. Ce matin-là, il vient d'arrêter trois personnes recherchées, au prix d'une expédition périlleuse dans un village à majorité arabe.

A la tête de 4 000 policiers, cet officier fait la chasse aux "terroristes", responsables de la mort de plusieurs dizaines de ses hommes, tués dans des attaques depuis un an. D'énormes pick-up hérissés de mitrailleuses patrouillent sans relâche et ont quasiment réussi à rétablir l'ordre dans le centre-ville.

Depuis un an, les soldats américains se sont retirés dans leur base, sur l'ancien aéroport de la ville, en attendant un départ définitif, programmé pour 2011. Mais ce retrait inquiète : le général Odierno, commandant des forces américaines en Irak, a réclamé au président Barack Obama qu'une brigade de combat soit maintenue à Kirkouk, dont la situation n'est pas réglée.

 


Des "fraudes" dénoncées aux législatives du 7 mars

La liste du chiite laïc Iyad Allawi, au coude-à-coude avec celle du premier ministre sortant Nouri Al-Maliki, selon des résultats

partiels, s'est plainte vendredi 12 mars, de "fraudes flagrantes" aux législatives du 7 mars, lors du vote et du dépouillement. Un responsable de la commission électorale a réfuté ces accusations, estimant qu'elles étaient motivées politiquement, alors que l'Alliance de l'Etat

de droit (AED) de M. Maliki les a qualifiées d'" exagérées".