Droits de l'homme: grogne de la Turquie après sa condamnation

Ankara a annoncé qu'elle respectera l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire Ocalan.

(Jeudi 12 mai 2005 13:22 - AFP) La Turquie a exprimé son mécontentement au sujet d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qui a recommandé un nouveau procès pour le chef séparatiste kurde Abdullah Ocalan, tout en assurant qu'elle respectera ce jugement pour garder le cap européen.«La République de Turquie est un Etat de droit ouvert et s'engagera à faire le nécessaire demandé par les lois», a déclaré Dengir Mir Mehmet Firat, vice-président du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir. «Evidemment ce n'est pas une décision que nous souhaitions», a indiqué Sadullah Ergin, un autre député influent de l'AKP.

Nouveau procès en vue
La CEDH a recommandé aux autorités turques d'organiser un nouveau procès contre Ocalan, celui au cours duquel il avait été condamné à mort en 1999 sur l'île-prison d'Imrali (nord-ouest), dont il est toujours le seul détenu, ayant été jugé inéquitable».

Dengir Mir Mehmet Firat a indiqué que les autorités judiciaires turques décideront des suites à donner à ce dossier, affirmant que cette procédure pourrait nécessiter certains amendements aux lois.

Vices de proédure
Le ministre de la Justice, Cemil Cicek, a de son côté indiqué à la chaîne privée NTV que les objections de la cour de Strasbourg concernaient essentiellement des vices de procédure et ne contestaient pas l'essence de la sentence qui a condamné Ocalan pour «séparatisme et trahison».

Estimant que la décision de la cour de Strasbourg ne constituait pas une surprise, Cemil Cicek, qui est également porte-parole du gouvernement, a affirmé qu'elle ne «change en rien le regard de la Turquie envers le terrorisme». «Il faut conserver son sang-froid. Ce n'est pas la fin du monde», a-t-il ajouté.

Amendement nécessaire
Le PKK dirigé par Ocalan, 56 ans, est considéré comme une organisation terroriste par la Turquie et nombre de pays occidentaux, dont les Etats-Unis. Il a mené entre 1984 et 1999 une lutte armée pour la création d'un Etat kurde indépendant dans le Sud-Est anatolien qui a fait près de 37 000 morts.

Selon l'avis de nombreux experts, pour que Ocalan puisse être rejugé, la Turquie doit amender une loi datant de 2003 qui permet un nouveau procès pour les détenus dont le jugement a été condamné par le CEDH mais qui exclut Ocalan.

«Dossier clos»
Dengir Mir Mehmet Firat a mis l'accent sur les aspirations de son pays d'adhérer à l'Union européenne et souligné que ce cap sera maintenu. La Turquie doit entamer le 3 octobre des négociations d'adhésion à l'Union. Il a cependant laissé entendre que même s'il était rejugé, le «chef terroriste» écoperait de la même peine. «Ce dossier est fermé dans la conscience du peuple (turc) (...) Un nouveau procès, s'il y en aura un, ne sera qu'une affaire de procédure», a-t-il dit.

La peine d'Ocalan avait été commuée en réclusion à perpétuité en 2002 après l'abolition de la peine de mort en Turquie, une des nombreuses mesures en matière de démocratie adoptées par ce pays dans le cadre de ses aspirations européennes.

[Le Temps-12 mai 2005]
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Chronologie de l'affaire Ocalan

La confirmation jeudi par la Cour européenne des droits de l'homme de la condamnation de la Turquie pour «procès inéquitable» du chef séparatiste kurde Abdullah Ocalan intervient six ans après le début de l'affaire qui avait abouti en juin 1999 à la condamnation à mort du dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).

1998
- Octobre: Ocalan est contraint de quitter la Syrie, sous la pression d'Ankara, et se lance dans un périple à travers l'Europe où il tente en vain d'obtenir l'asile politique.

1999
- 15 fév: Le chef du PKK est capturé par un commando turc à Nairobi (Kenya), après avoir quitté la résidence de l'ambassadeur de Grèce où il séjournait depuis douze jours.
Dès son arrivée en Turquie, il est incarcéré sur l'île-prison d'Imrali en mer de Marmara (ouest).

A l'annonce de son arrestation, des manifestations éclatent un peu partout en Europe. Le 17, quatre Kurdes sont tués devant le consulat d'IsraÎl à Berlin.

- 23 fév: Ocalan est inculpé sur décision de la Cour de sûreté de l'Etat (DGM) d'Ankara au terme d'un premier interrogatoire et placé en détention provisoire.

- 17 mars: Ankara refuse la présence d'observateurs internationaux au procès d'Ocalan.
- 28 avr: Ouverture du procès d'Ocalan devant la Cour de sûreté de l'Etat d'Ankara. Les trois procureurs remettent l'acte d'accusation réclamant la peine capitale. Le lendemain, les autorités décident de réunir les procédures en cours contre Ocalan, qui était jugé depuis 1997 par contumace.

- 31 mai: Ouverture du procès réunifié sur l'île-prison d'Imrali. Lors de la première audience, il appelle le PKK à abandonner la lutte armée.

- 29 juin: Abdullah Ocalan est condamné à mort pour trahison et tentative de diviser la Turquie. La plupart des capitales européennes appellent Ankara à la clémence. Des manifestations éclatent un peu partout en Europe.

2000
- 21 nov: ouverture d'une audience devant la Cour européenne des droits de l'homme après le dépÙt de la plainte d'Ocalan contre la Turquie. Il accuse les autorités turques d'avoir violé les dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme lors de son arrestation, pendant son incarcération et son procès.

2002
- 3 oct: la peine d'Ocalan est commuée en réclusion à perpétuité après l'abolition de la peine de mort en Turquie.

2003
- 12 mars: la Cour européenne des droits de l'homme donne partiellement gain de cause à Ocalan considérant que sa condamnation à mort en 1999 prononcée «à l'issue d'un procès inéquitable» constituait un «traitement inhumain».
Elle ne retient pas en revanche les plaintes d'Ocalan concernant ses conditions de détention et celles de son arrestation. Les deux parties font appel.

2004
- 9 juin: réexamen devant la CEDH d'un recours d'Ocalan contre la Turquie, concernant notamment ses conditions de détention.

2005
- 12 mai: La CEDH confirme la condamnation de la Turquie pour «procès inéquitable» et recommande la tenue d'un nouveau procès.

[Le Temps-12 mai 2005]
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