Des étrangers en leur propre pays

mis à jour le Samedi 30 janvier 2010 à 14h43

Liberation.fr | Par MARC SEMO

En Syrie, au moins 300 000 Kurdes ont été déchus de leur nationalité.

Nul ne sait précisément combien sont - au moins 300 000, peut-être le double - les Kurdes syriens sans papiers dans leur propre pays. «C’est la seule population de cette importance au Moyen-Orient qui est condamnée à vivre clandestinement sur son propre territoire», relève Kendal Nezan, président de l’Institut kurde de Paris. L’histoire des Kurdes - au moins 35 millions de personnes écartelées principalement entre quatre pays (Turquie, Iran, Irak, Syrie) - a été le plus souvent tragique. Mais le sort des Kurdes syriens massivement déchus de leur nationalité par le régime baasiste, est assurément l’un des plus poignants.

«Cette population kurde du nord de la Syrie est incontestablement aujourd’hui la plus discriminée de toutes les populations kurdes», souligne Kendal Nezan. «Ils vivent comme assignés à résidence à perpétuité», insiste un Kurde syrien qui, jusqu’à son installation en France, n’avait jamais eu d’autre document d’identité qu’une feuille avec des tampons certifiant seulement «qu’il ne figure pas sur le registre d’état civil des Arabes syriens». Aux yeux des autorités baasistes, il était considéré comme «un étranger non ressortissant d’un pays étranger». Telle est la terminologie officielle pour définir la situation de ces Kurdes qui représentent entre un quart et un tiers du 1,5 million de Kurdes du pays.

La vie de ces Kurdes du Nord-Est syrien installés là depuis des siècles a basculé en 1962 quand le parti Baas, au pouvoir, décida de réduire drastiquement dans les statistiques le nombre des Kurdes. Une fauche arbitraire. Les maires et les responsables locaux du parti désignaient aux recenseurs les «bonnes» familles kurdes et celles qui ne l’étaient pas. Plus de 120 000 personnes furent déchues de leur nationalité. «C’est un châtiment éternel et irréversible qui s’étend à tous les descendants», raconte un intellectuel kurde syrien.

Ils ne peuvent pas quitter le pays faute de passeport. Une femme perd sa citoyenneté si elle épouse un «sans-papiers». Ils ne peuvent être soignés dans les hôpitaux qu’en versant des pots-de-vin. Les enfants vont à l’école, obligatoire, mais ne peuvent obtenir de diplômes. Les emplois publics leur sont interdits. Ils ne peuvent posséder en leur nom propre terrains, maisons, troupeaux ou boutiques. Ils s’arrangent grâce aux solidarités familiales car, dans la même tribu, il peut y avoir des sans-papiers et d’autres qui ont conservé la citoyenneté.

Pour les autres Kurdes syriens, la vie est en revanche plus ou moins normale, du moins comme elle peut l’être sous une dictature. Mais chaque tentative pour revendiquer des droits culturels ou politiques spécifiques est écrasée. Les tensions restent vives. Ainsi, en mars 2004, des incidents après un match de football dans la ville de Qamichli à majorité kurde ont dégénéré en émeute. Une statue d’Hafez al-Assad a été renversée et la répression aurait fait une cinquantaine de morts.