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Une élue se dit ciblée par un "espion" turc, l'Autriche sur le qui-vive


Vendredi 16 octobre 2020 à 15h59

Vienne, 16 oct 2020 (AFP) — Candidate aux municipales à Vienne, Berivan Aslan n'est pas sortie de chez elle pour faire campagne: selon ses dires, sa tête a été mise à prix par la Turquie et l'Autriche a offert à cette juriste d'origine kurde une protection rapprochée.

"Un homme s'est présenté au siège des services autrichiens de renseignements en affirmant être chargé de me tuer car je suis une voix qui porte dans les milieux kurdes en Europe", raconte cette ex-députée écologiste autrichienne de 38 ans, élue depuis dimanche conseillère municipale dans la capitale.

"Une enquête a été ouverte", affirme-t-elle, sur ce supposé espion turc repenti, désormais en quête de protection, dénommé Feyyaz Öztürk et âgé de 53 ans selon la presse locale. Le parquet n'a pas voulu donner de détails à l'AFP, parlant d'une procédure "classifiée".

La Turquie, elle, assure ne rien savoir de cette personne. "L'individu en question n'a jamais été associé aux services turcs et n'a jamais agi en leur nom", a commenté un haut responsable turc, contacté par l'AFP à Ankara.

A Vienne, l'ambassade dit avoir "soigneusement vérifié le nom de Feyyaz Öztürk" sans pouvoir établir un quelconque lien avec la Turquie.

Au-delà de cette affaire sans précédent en Autriche, l'influence turque dans le pays inquiète de plus en plus les autorités et une cellule spéciale a été mise en place à la suite de l'attaque cet été de manifestants kurdes par de jeunes nationalistes turcs à Vienne.

- Contrôler la diaspora -

plusieurs pays européens soupçonnent les services secrets turcs (MIT) d'être actifs sur leur territoire.

"Si Recep Tayyip Erdogan et la Turquie tentent d'établir un réseau systématique d'informateurs en Autriche, alors il faut réagir", a estimé le ministre conservateur de l'Intérieur Karl Nehammer, dans une déclaration transmise à l'AFP.

D'après l'ancien parlementaire autrichien Peter Pilz, longtemps en charge des questions de sûreté nationale, il y a plus de 200 informateurs au service d'Ankara présents sur le territoire autrichien, ce qui fait d'eux les plus nombreux après les Russes.

Le maillage a été renforcé pour contrôler la diaspora, après la tentative de putsch ratée de juillet 2016, décrypte M. Pilz. Depuis cette date, les "grandes oreilles" turques ont "rapatrié" de force des dizaines de personnes accusées d'appartenir au mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, bête noire de M. Erdogan.

Les médias du pays alpin relatent régulièrement les intimidations subies par les immigrés qui font savoir leur opposition au pouvoir du président islamo-conservateur.

L'Autriche compte 116.000 ressortissants turcs, selon les chiffres officiels. Il s'agit, après les Allemands et les Serbes, de la troisième communauté étrangère présente dans ce pays d'Europe centrale de 8,9 millions d'habitants.

- "Escalade" -

Autre volet de cette affaire, le supposé espion a affirmé aux enquêteurs autrichiens avoir menti à la justice turque dans un procès hautement sensible, si l'on en croit des éléments du dossier publiés par un média d'investigation en ligne.

"Ils m'ont fait témoigner et m'ont présenté un papier vierge que j'ai signé", a-t-il expliqué, selon ce site, zackzack.at, fondé par Peter Pilz, reconverti après avoir quitté la politique pour le journalisme.

Un employé du consulat des Etats-Unis à Istanbul, Metin Topuz, a par la suite été condamné en juin à près de neuf ans de prison, pour "aide à un groupe terroriste".

L'Autriche, qui est un pays neutre accueillant le siège de plusieurs organisations internationales, reste un terrain d'opération privilégié des agents occidentaux, russes, arabes, turcs, israéliens et iraniens.

Mais jusqu'à présent, ces derniers ne s'en sont jamais pris spécifiquement à des ressortissants autrichiens.

"Ce serait une véritable escalade, si les services de renseignement turcs commençaient à cibler des personnalités politiques nationales", selon Thomas Riegler, un spécialiste des questions d'espionnage à l'université de Graz (sud).

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.