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Un an après l'offensive turque, le rêve lointain d'un retour des Syriens déplacés


Lundi 12 octobre 2020 à 12h43

Hassaké (Syrie), 12 oct 2020 (AFP) — La fille de Wadha Charmoukh n'a connu, à cinq mois, que la vie sous une tente, dans l'un des camps abritant des dizaines de milliers de personnes chassées de leurs villages du nord de la Syrie lorsque la Turquie, assistée de partenaires syriens, a repris ce territoire aux forces kurdes il y a un an.

Wadha a accouché dans un camp de civils kurdes et arabes ayant fui cette offensive turque, lancée en octobre 2019, qui a permis à Ankara de s'emparer d'une bande frontalière de 120 kilomètres à l'intérieur du territoire syrien.

"Ma fille Berivan, âgée de cinq mois, est née dans les camps. Elle n'a jamais vu de maison. Juste vécu à l'étroit dans une tente", raconte à l'AFP cette mère de 29 ans dans un camp situé dans la province de Hassaké (nord-est de la Syrie). "Quel genre de vie c'est, pour un enfant de naître et de vivre dans une tente?".

Wadha et sa famille ont dû, comme des dizaines de milliers de personnes, abandonner leur maison puis s'installer dans des camps de fortune situés dans des zones encore sous le contrôle des forces kurdes.

Des groupes de défense des droits humains ont rapporté des cas de pillage et de saisie de biens à grande échelle à l'issue de l'opération turque.

"L'avenir est sombre et nous sommes désespérés", confie cette mère de famille arabe, expliquant que les accusations selon lesquelles son mari a travaillé avec les autorités kurdes rendent tout retour très dangereux.

"J'essaie parfois d'oublier mais comment peut-on oublier sa maison et les choses qu'on a mis toute sa vie à construire?"

- "Comme une tombe" -

Le plus dur pour elle? Voir ses trois filles grandir dans un camp.

"Quand elles seront grandes, que ressentiront-elles lorsqu'elles quitteront le camp et verront comment vivent les autres?", s'interroge-t-elle, entourée de ses enfants dont Roslyn, cinq ans, paraplégique et contrainte au fauteuil roulant. "J'essaie de la garder près de moi (...) mais elle n'aime pas rester dans la tente".

Dans une tente voisine, Chams Abdel Kader confie qu'elle aurait "préféré mourir dans (sa) ville plutôt que vivre dans ce camp qui ressemble à une tombe".

"Nous pensons nuit et jour à rentrer chez nous à Ras al-Ain", poursuit cette mère kurde de sept enfants, qui a pourtant bien conscience que sa ville n'est plus ce qu'elle était.

Les alliés d'Ankara, nouveaux maitres des lieux, ont rendu la vie impossible aux quelques irréductibles ayant refusé de quitter Ras al-Aïn et Tal Abyad.

"Ce sont nos ennemis", relève Mme Abdel Khader, 40 ans. "Ils tuent des gens, kidnappent des femmes, volent nos maisons et nos voitures et personne ne les arrête".

- "Clé" -

La Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme Michelle Bachelet a mis en garde en septembre contre une croissance de la violence et de la criminalité dans les zones conquises par Ankara et ses alliés, notamment à Ras al-Aïn et Tal Abyad.

Cette instance a notamment évoqué une recrudescence des meurtres, des enlèvements, des transferts illégaux de personnes ainsi que des confiscations de terres et de biens.

La Turquie a vigoureusement rejeté ces accusations, tandis que l'opposition syrienne a nié des mauvais traitements "systématiques".

Salima Mohammad a abandonné l'idée d'un retour dans son village.

Cette femme de 42 ans a transporté des pierres et de la boue pour construire une cuisine de fortune près de sa tente, afin de préparer le repas des quatorze membres de sa famille.

"Notre village a été incendié", explique-t-elle, les larmes aux yeux. "Même si nous avions l'espoir de rentrer, où irions-nous s'il n'y a ni maisons, ni murs, ni portes, ni fenêtres?"

"Quel sens a l'avenir si nous ne sommes pas avec nos familles sur notre propre terre?", demande-t-elle, confiant ne s'être toujours pas adaptée à la vie dans le camp.

Un sentiment partagé par Qamra, 65 ans, déracinée des abords de Ras al-Ain avec sa famille.

Entourée de ses petits-enfants sous une tente, la sexagénaire sort d'un petit sac une clé accrochée à un épais lacet noir.

"J'ai apporté la clé de ma maison avec moi", dit-elle. "Si je meurs avant mon retour, je veux être enterrée avec".

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.