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Turquie: vers un rendez-vous incertain pour Erdogan


Dimanche 7 mai 2023 à 05h03

Istanbul, 7 mai 2023 (AFP) — Le président turc Recep Tayyip Erdogan affronte le 14 mai l'élection la plus incertaine depuis son arrivée au pouvoir, confronté pour la première fois en vingt ans à une opposition unie dans un pays en crise.

A 69 ans, M. Erdogan est déterminé à se maintenir cinq ans de plus à la tête de son pays de 85 millions d'habitants, qu'il a transformé profondément, aujourd'hui rongé par la crise économique.

Face à lui, trois prétendants mais un seul véritable adversaire: Kemal Kiliçdaroglu, 74 ans, candidat d'une alliance de six partis d'opposition qui va de la droite nationaliste à la gauche démocrate, et qui est dominée par le CHP (social-démocrate) fondé par le père de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk.

"Kemal", comme il se présente sur ses affiches, a reçu en outre le soutien inédit du parti prokurde HDP, troisième force politique du pays.

En cas de victoire, M. Kiliçdaroglu deviendrait le treizième président de la république turque - qui fête ses 100 ans cette année - succédant au long règne d'Erdogan, recordman de longévité au pouvoir depuis la fin de l'Empire ottoman.

Entre l'AKP islamo-conservateur de M. Erdogan et le CHP, laïque par essence, de M. Kiliçdaroglu, la Turquie choisira entre une pratique de plus en plus autocratique du pouvoir - 16.753 inculpations en 2022 pour "insulte au président", selon les statistiques du ministère de la Justice -, teintée de religiosité et de bigoterie. Et la promesse d'un virage démocratique et du retour à une relation "apaisée" avec le pays et le reste du monde.

- victoire au premier tour -

Les 64 millions d'électeurs, dont 3,4 millions votent déjà à l'étranger jusqu'à mardi, renouvelleront simultanément leur parlement.

Les sondages - désormais interdits jusqu'au scrutin - prédisent une présidentielle serrée, que les deux camps affirment pouvoir remporter au premier tour, faute de quoi un deuxième tour sera organisé le 28 mai.

M. Kiliçdaroglu a rapidement déminé ce qui pouvait apparaître comme un obstacle à sa campagne dans une Turquie majoritairement sunnite: son appartenance à l'alévisme, branche hétérodoxe de l'islam, qu'il a évoquée dans une de ses vidéos-maison, devenue virale sur les réseaux sociaux.

Avec pédagogie, chaque thème pris un par un, économie, pouvoir d'achat (l'inflation a dépassé les 85% en octobre), libertés publiques, il promet "la justice, le droit et l'apaisement".

Face à lui, dans un pays en proie à une grave crise économique et de confiance, que les jeunes diplômés, ingénieurs, médecins, cherchent à quitter, l'omniprésent Recep Tayyip Erdogan bataille âprement pour sauver son héritage et peut compter sur quelque 30% d'irréductibles.

Le camp du "Reis" manie promesses de campagne chiffrées (retraites, logements, factures d'énergie) et invectives, accuse ses rivaux de collusion avec les "terroristes" du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan, vilipende leurs liens avec l'Occident et ses "complots", et les présente comme des "pro-LGBT" - une obsession - qui veulent "détruire la famille".

- primo-votants -

Quelle résonance chez les 5,2 millions de jeunes qui se rendront aux urnes pour la première fois? ils n'ont connu que M. Erdogan et sa dérive autocratique depuis les grandes manifestations de 2013 et le coup d'Etat raté de 2016, qui a déclenché des dizaines de milliers d'arrestations.

"C'est par vous que le printemps arrivera", leur a lancé M. Kiliçdaroglu, qui a fait du "coeur avec les doigts" la signature de ses meetings.

Selon un sondage de l'institut Metropoll, les 18-24 le soutiennent en majorité, mais 30% choisiront Erdogan.

Autre inconnue, l'impact du puissant séisme du 6 février, qui a fait plus de 50.000 morts et un nombre inconnu de disparus dans le sud du pays: les rescapés, qui ont dénoncé la lenteur des secours, sont aujourd'hui dispersés dans le pays ou réfugiés dans des tentes et des conteneurs.

Cette situation ajoute aux inquiétudes sur la régularité des opérations électorales et "l'état de la démocratie" en Turquie, a prévenu le Conseil de l'Europe, qui y dépêchera 350 observateurs, en plus de ceux désignés par les partis dans les 50.000 bureaux de vote.

L'opposition a pris les devants en mobilisant 300.000 scrutateurs et en doublant le nombre d'avocats formés à surveiller le scrutin.

Le vice-président du CHP chargé de la sécurité des élections, Oguz Kaan Salici, se veut confiant: "Nous ne vivons pas dans une république bananière" veut-il croire.

Un diplomate rappelle que la Turquie est attachée au principe des élections: "Même du temps où les militaires menaient un coup d'Etat tous les dix ans, ils remettaient leur pouvoir en jeu dans les urnes".

Mais, prudent, Kemal Kiliçdaroglu a appelé ses partisans à "rester chez eux" en cas de victoire, par crainte de violences.

D'ici là, Recep Tayyip Erdogan, infatigable bretteur, occupe le terrain : selon le Conseil supérieur des radios et télévisions (RTük), entre le 1er avril et le 1er mai, la télévision d'Etat TRT a accordé 32 heures de direct aux allocutions présidentielles... et 32 minutes à Kemal Kiliçdaroglu.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.