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Turquie: un procureur réclame l'interdiction du parti prokurde


Mercredi 17 mars 2021 à 18h05

Ankara, 17 mars 2021 (AFP) — Un procureur a saisi mercredi la plus haute cour de Turquie pour réclamer la fermeture du principal parti prokurde, bête noire du président Recep Tayyip Erdogan qui l'accuse d'activités "terroristes".

Selon l'agence de presse étatique Anadolu, le procureur en question a envoyé un acte d'accusation à la Cour constitutionnelle demandant l'ouverture d'un procès pour interdire le Parti démocratique des peuples (HDP), troisième formation politique du pays.

Le HDP, qui dénonce la dérive autoritaire de M. Erdogan, fait l'objet d'une répression implacable depuis 2016, année où son charismatique chef de file, Selahattin Demirtas, a été emprisonné en dépit des protestations européennes.

La demande de fermeture du HDP risque de renforcer la préoccupation des pays occidentaux au sujet de l'Etat de droit en Turquie, au moment où Ankara cherche à apaiser ses relations tendues avec les Etats-Unis et l'Europe.

Une éventuelle fermeture du HDP conduirait à une transformation importante du paysage politique, à deux ans d'élections législatives et présidentielle qui s'annoncent difficiles pour M. Erdogan, sur fond de difficultés économiques.

Dans son acte d'accusation, le procureur réclamant la fermeture du HDP estime que celui-ci "agit comme une extension" du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe qui mène une sanglante guérilla en Turquie et est qualifié de "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.

"Les membres du HDP s'efforcent, par leurs déclarations et leurs actes, de détruire l'union indivisible entre l'Etat et la nation", affirme le procureur, cité par Anadolu.

La Cour constitutionnelle doit encore accepter cet acte d'accusation pour que la date d'un procès soit fixée.

Le HDP, qui n'avait pas réagi dans l'immédiat, a indiqué qu'il réunirait jeudi son état-major en urgence.

- Attaques croissantes -

Cette annonce intervient après plusieurs semaines d'attaques verbales croissantes contre le HDP de la part de M. Erdogan et de son partenaire de coalition informelle, le Parti d'action nationaliste (MHP, extrême droite).

Le chef de l'Etat accuse régulièrement le HDP d'être la "vitrine politique" du PKK.

Mais les critiques contre le HDP ont redoublé d'intensité après une intervention militaire turque avortée visant à secourir 13 otages aux mains du PKK en Irak et qui s'est soldée par la mort de tous les prisonniers mi-février.

Le dirigeant du MHP, Devlet Bahçeli, a déclaré début mars que la fermeture du HDP était devenue "urgente et nécessaire".

Conscients des menaces pesant sur leur formation, les dirigeants du HDP ont affirmé la semaine dernière qu'ils étaient prêts à créer un nouveau parti si celui-ci était interdit.

"Arrêterons-nous de faire de la politique si on interdit notre parti ? Bien sûr que non. Il y a plusieurs alternatives", a ainsi affirmé à l'AFP la co-présidente du HDP Pervin Buldan.

Le HDP, qui rejette fermement les accusations d'"activités terroristes", se dit victime de persécution en raison de son opposition à M. Erdogan.

Après sa création en 2012, le HDP a connu un succès fulgurant, récoltant plus de 13% des suffrages lors des élections législatives de juin 2015 et contribuant à priver le parti de M. Erdogan, l'AKP, de sa majorité.

- Députés destitués -

Dans la foulée du tentative de putsch le visant en 2016, M. Erdogan a lancé une répression tous azimuts qui a frappé le HDP de plein fouet.

Faisant fi des critiques occidentales, le pouvoir turc a multiplié les arrestations et les destitutions d'élus du HDP, remplaçant par exemple la quasi-totalité des 65 maires prokurdes par des administrateurs publics.

La demande de fermeture du HDP intervient par ailleurs quelques heures après que le Parlement turc eut déchu de son mandat un député de cette formation, Faruk Gergerlioglu, après la confirmation en dernière instance d'une condamnation à deux ans et demi de prison pour "propagande terroriste".

Dénonçant une "violation de la Constitution", M. Gergerlioglu a affirmé qu'il ne quitterait pas l'hémicycle à moins d'y être contraint par la force.

"C'est une attaque choquante contre les normes démocratiques et l'Etat de droit ainsi qu'une violation de la Constitution turque et des obligations découlant du droit international", a dénoncé sur Twitter la représentante en Turquie de l'ONG Human Rights Watch (HRW), Emma Sinclair-Webb.

En comptant M. Gergerlioglu, 14 députés du HDP ont été déchus de leur mandat depuis 2016.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.