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Turquie: un an après la reprise des combats, une lutte acharnée mais sans issue avec le PKK


Mercredi 20 juillet 2016 à 09h50

Istanbul, 20 juil 2016 (AFP) — Un an après la reprise des combats, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et les forces turques se livrent une lutte sans issue mais d'une violence inédite, semant la mort et la dévastation pour la population civile du Sud-Est.

Mardi soir, des F-16 ont bombardé des positions du PKK dans le nord de l'Irak, pour la première fois depuis le coup d'Etat manqué en Turquie.

L'attentat kamikaze de Suruç le 20 juillet 2015, qui a fauché 34 militants prokurdes près de la Syrie, et le meurtre, le 22, de deux policiers turcs par le PKK avaient fait voler en éclats un cessez-le-feu de plus de deux ans.

Cette guerre civile interminable, qui a fait 40.000 morts en 32 ans dans le Sud-Est majoritairement kurde, s'est totalement intriquée aujourd'hui dans la problématique syrienne.

"Les deux acteurs étaient prêts à la reprise du conflit, cela explique l'escalade importante", estime Yohanan Benhaim, doctorant à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

Le PKK était prêt à reprendre la lutte: il avait reconstitué ses forces et était conforté par les gains territoriaux des Kurdes en Syrie.

Ankara ne pouvait pour sa part rester spectateur alors que, juste de l'autre côté de la frontière, les gains militaires des Kurdes syriens leur assuraient à la fois une continuité territoriale de 500 km et une reconnaissance internationale pour leurs succès contre l'organisation de l'Etat islamique.

Mais la reprise violente des hostilités "a été désastreuse, et surtout pour la population civile", dit M. Benhaim.

Depuis un an, 7.078 combattants kurdes et 483 membres des forces de sécurité ont été tués, mais aussi 338 civils. Quelque 355.000 personnes ont été déplacées, selon Human Rights Watch.

HRW vient de dénoncer "les couvre-feu imposés depuis août (2015) dans 22 villes ou quartiers, qui empêchent, outre les déplacements de la population, ceux des ONG, journalistes ou avocats".

- 'Violence jamais vue' -

Par rapport à la période allant de 1984, début de l'offensive du PKK, à 2013, l'appel au cessez-le feu de son chef emprisonné Abdullah Öcalan, ces nouveaux combats sont "d'une violence jamais vue", dit Sinan Ulgen, à la tête du centre de recherches Edam.

Ce conflit a pris les allures d'une vraie guerre alors que le PKK délaissait les campagnes du Sud-Est pour déplacer sa guérilla dans les villes. Milices kurdes de la jeunesse avec leurs barricades et tranchées contre l'armée avec ses chars et armes lourdes. Et civils au milieu.

"Le gouvernement turc ne pouvait pas se permettre de laisser le contrôle territorial urbain au PKK", explique M. Ulgen, pour qui "on peut se demander si la force a été disproportionnée ou pas" de la part de cette armée ultra-moderne qui n'a pas hésité à faire pilonner des quartiers de Silopi ou Nusaybin par ses F-16.

Les vidéos tournées dans des quartiers de villes comme Diyarbakir, Sur et Cizre donnent la réponse : on se croirait à Alep ou à Homs, dans la Syrie dévastée par cinq ans de guerre.

Le conflit a aussi changé de visage avec "l'importation" par les Kurdes des méthodes ayant fait leurs preuves mortelles en Syrie, "par exemple les IED (engins explosifs), les immeubles piégés, les voitures piégées", explique M. Benhaim.

La guerre depuis un an a aussi redessiné le paysage urbain, dans des zones sinistrées, comme Sur, Cizre, Sirnak, ou Lice.

Par endroits, "on rase les décombres et on reconstruit de nouveaux quartiers dans une optique sécuritaire", explique M. Benhaim. "Avant à Sur, il y avait des entrelacs de rues et des galeries souterraines".

La démographie a été chamboulée elle aussi par les combats qui ont chassé les habitants de leur quartier, ville ou même région. Il s'agit pour ceux-ci "souvent d'un deuxième exil", car "dans les années 90, la population avait été poussée par la guerre des campagnes vers les villes".

Enfin, le conflit s'est transporté à Ankara et Istanbul, frappées par des attentats kurdes meurtriers.

La preuve est faite qu'il n'y aura pas de solution militaire à la question kurde.

Et "en termes politiques, le bilan est absolument catastrophique", estime M. Benhaim. La société turque s'est fortement polarisée, avec une montée du nationalisme turc.

Quant au PKK, "il s'est renforcé en Syrie, mais pas en Turquie", où il n'a pas réussi à contrôler les centres urbains, souligne M. Ulgen.

Hélàs , "aucun des deux acteurs n'a intérêt a la fin du conflit", pour M. Benhain. Le PKK va essayer de gagner le plus de territoire possible en Syrie "où il n'a jamais été aussi fort".

Et le durcissement du régime de Recep Tayyip Erdogan va mécaniquement renforcer la violence.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.