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Turquie: plus réprimé que jamais, le parti prokurde risque l'interdiction


Mercredi 10 mars 2021 à 12h04

Ankara, 10 mars 2021 (AFP) — Le principal parti prokurde de Turquie, sous pression depuis plusieurs années, joue désormais sa survie alors que se profile une procédure judiciaire pouvant déboucher sur sa fermeture, au moment où le président Recep Tayyip Erdogan cherche à se renforcer avant des élections difficiles.

Troisième plus grande formation politique du pays, le Parti démocratique des peuples (HDP) fait l'objet d'une répression implacable depuis 2016, année où son charismatique chef de file, Selahattin Demirtas, a été emprisonné.

Faisant fi des critiques occidentales, le pouvoir turc a multiplié ces dernières années les arrestations et les destitutions d'élus du HDP, remplaçant par exemple la quasi-totalité des 65 maires prokurdes par des administrateurs publics.

Mais c'est désormais l'avenir du parti qui semble menacé depuis l'ouverture d'une enquête par le plus haut tribunal de Turquie la semaine dernière, après que M. Erdogan eut multiplié les attaques contre le HDP.

Cette enquête, menée par un procureur de la Cour de cassation, pourrait déboucher sur un procès à l'issue duquel le HDP serait interdit s'il est reconnu comme une organisation mêlée à des "activités terroristes".

Le chef d'Etat turc accuse cette formation d'être la "vitrine politique" du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe classé "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.

Le HDP rejette cette accusation, se disant victime de répression en raison de sa farouche opposition au président turc.

- Erdogan "acculé" -

L'annonce d'une enquête contre le HDP est intervenue après des appels répétés à fermer ce parti lancés par le partenaire de coalition de M. Erdogan, Devlet Bahçeli, chef du Parti d'action nationaliste (MHP, extrême droite).

Après une intervention militaire avortée visant à secourir 13 otages aux mains du PKK en Irak et qui s'est soldée par la mort de tous les prisonniers mi-février, MM. Erdogan et Bahçeli ont multiplié les attaques contre le HDP.

Outre l'ouverture de l'enquête, le Parlement turc a commencé en février à examiner la levée de l'immunité de 20 députés prokurdes.

Si c'est M. Bahçeli qui est en première ligne pour réclamer la fermeture du HDP, une telle mesure pourrait faire les affaires de M. Erdogan, qui redoute de perdre le contrôle du Parlement aux prochaines élections, selon des experts.

Les derniers sondages font état de l'érosion de la popularité de l'alliance de M. Erdogan avec M. Bahceli, dans un contexte de difficultés économiques aggravées par la pandémie de nouveau coronavirus.

"Le gouvernement est acculé (...) et ne sait pas quoi faire pour inverser cette tendance", estime Galip Dalay, un chercheur associé à la Robert Bosch Academy de Berlin et au centre de réflexion Chatham House à Londres.

"Si Erdogan pense qu'interdire le HDP servira au mieux sa quête de formule gagnante, je ne pense pas qu'il aura du mal à le faire", estime-t-il.

- "Plusieurs alternatives" -

Face aux nuages qui s'amoncellent, le HDP tente de faire bonne figure, mettant en avant la capacité du mouvement politique kurde à renaître de ses cendres.

De nombreuses formations prokurdes ont en effet été fermées dans le passé, comme le Parti de la démocratie du peuple (Hadep) en 2003, accusé de liens avec le PKK.

"Arrêterons-nous de faire de la politique si on interdit notre parti ? Bien sûr que non. Il y a plusieurs alternatives", a affirmé à l'AFP la co-présidente du HDP Pervin Buldan.

"Dans le passé, nos partis ont été interdits et de nouveaux ont été créés. Nous en sommes toujours sortis renforcés", a-t-elle ajouté.

Selon M. Dalay, le président turc est partagé entre deux options. "Il hésite entre paralyser le HDP et l'interdire complètement", estime-t-il.

Le choix est difficile pour M. Erdogan, qui doit calculer l'impact d'une telle démarche alors qu'il tente de "réparer les relations" avec l'Occident et qu'il a promis de nombreuses réformes en matière des droits humains, précise M. Dalay.

Mais il doit aussi composer avec son allié nationaliste, M. Bahçeli, dont il a besoin pour conserver sa majorité au Parlement.

Comme un symbole de ce tiraillement, l'ouverture d'une enquête par la Cour de cassation a été annoncée peu après que M. Erdogan eut présenté en grande pompe un "plan d'action pour renforcer l'Etat de droit" visant à apaiser l'Europe.

Les informations ci-dessus de l'AFP n'engagent pas la responsabilité de l'Institut kurde de Paris.